3 Mars 2022
Par-delà ses bouillonnantes gorges, la rivière sert de fil conducteur à une découverte au plus près des éléments, de villages préservés en plateaux sauvages couverts de lavande.
Il a la finesse d'un roseau, mais la robustesse d'un chêne. Tout de bois, le nouveau belvédère du col d'Illoire s'élance avec audace dans le vide, au dessus des gorges du Verdon. Le vent chatouille les oreilles, un vautour fauve plane dans les airs, témoin du programme de réintroduction lancé il y a vingt-cinq ans. Quelques 300 m plus bas, au fond du plus profond canyon d'Europe, la rivière semble minuscule, comme un fil couleur émeraude qui se faufile dans les plis d'une tapisserie blanche et verte.
Le blanc de la roche calcaire de Haute-Provence que la tempétueuse rivière a patiemment creusée, façonnant d'intrépides méandres, polissant les chaos rocheux, sculptant d'abruptes falaises ; le vert du buis, des hêtres et des espèces endémiques qui s'accrochent avec opiniâtreté aux parois, comme cette doradille du Verdon, une fougère rare qui pousse au fond des gorges, à l'abri du soleil.
«Rien n'est plus romantique que le mélange de ces rochers et de ces abîmes, ces eaux vertes et ces ombres pourpres»...écrivait Jean Giono, l'enfant du pays, à propos de ces gorges qui forment une frontière infranchissable entre les plateaux arides du Var et ceux des Alpes-de-Haute-Provence. Trente kilomètres d'une course tourmentée qui file de Castellane au lac de Sainte-Croix ; une faille étroite et profonde - de 250 m à 700 m - aux roches plissées, aux balcons naturels et aux grottes mystérieuses. Si profonde que le bouillonnement des eaux, qui fait le délice des truites et des amateurs de rafting, ne parvient pas à déranger le silence, là-haut, au sommet des falaises.
Par où attaquer ce chef-d'œuvre de Dame Nature, aujourd'hui intégré au parc naturel régional du Verdon ? De l'amont à l'aval, tout simplement ; mais en se ménageant des pauses dans les villages alentour : Aiguines et ses artisans qui travaillent le bois ; Aups, escale médiévale devenue capitale varoise de la truffe noire ; ou Moustiers-Sainte-Marie, aux allures de crèche provençale. Sur la route Napoléon (il y fit étape lors de son retour de l'île d' Elbe), Castellane est un passage obligé. Le village s'étire paisiblement à l'ombre d'un éperon saillant. Une ballade dans les ruelles, un passage par le musée qui rend hommage aux siréniens, les ancêtres des lamantins dont on trouva les vestiges fossilisés dans la région...La vie s'y écoule paisiblement.
À Castellane, le Verdon aussi se la coule douce. Plus pour longtemps ! Les gorges sont à une poignée de kilomètres. Pas question de se tromper, un seul pont enjambe la rivière avant son défilé tumultueux, au bien nommé pont de Soleils. Sur la rive droite, on fait des repérages à la maison des Gorges du Verdon avant de s'élancer à la découverte du canyon. Mais c'est la rive gauche - la Corniche sublime - qui est la plus populaire.
Une route accrochée aux falaises, des lacets à faire chavirer les coeurs, des murets qui protègent des précipices...On aimerait s'arrêter à chaque virage pour figer les paysages. Mais impossible sur cette route étroite !
Reste les belvédères aux points de vue spectaculaires, pris d'assaut aux beaux jours, comme les balcons de la Mescla ou ce tout nouveau du col d'Illoire.
Vu d'en haut le spectacle est étourdissant. Vu d'en bas, il est éclaboussant ! Il faut avoir le pied sportif pour descendre au fond des gorges. Plutôt que de s'aventurer sur les chemins sinueux, on se contente du sentier du lézard, au départ du Point sublime. Facile et sans danger, le parcours de deux heures permet d'appréhender les secrets géologiques du canyon, avec pour but le joli pont de pierre du Tusset datant du XVIIe siècle, l'un des plus beaux enjambant le verdon. À moins de préférer batifoler à la sortie des gorges.
Du côté du pont du Galetas, comme étouffé par un si long parcours étriqué, le Verdon prend soudainement son aise pour donner naissance au lac artificiel de Sainte-Croix, presque aussi vaste que celui d'Annecy.
Dans ses eaux calmes au bleu turquoise, posées là comme un miroir, on patauge avec jubilation. On navigue aussi, jusqu'à plus soif. Loueurs de canoés et pédalos (et de bateaux électriques pour les moins costauds !) se partagent les rives.
La remontée des gorges sur quelques kilomètres, dans un décor de falaises moussues, vaut bien un dernier effort : d'autant plus que, en chemin, la balade fluviale affleure une rafraîchissante cascade qui joue à saute-mouton entre les rochers. Encore une facétie du Verdon !
Au nord des gorges du Verdon, Digne-les-Bains est la capitale de la lavande.
Ici, on cultive la fleur mauve mais aussi le lavandin, qui s'épanouit en dessous de 600 mètres. Ses vertus olfactives sont moins bonnes, mais le rendement est meilleur, ce qui lui permet d'envahir les étals des marchés. Partout dans les villages, les distilleries embaument l'atmosphère, comme à Aiglun où Nicolosi Créations élabore des fragrances à base d'huile de lavande bio. Les paysages sont à l'unisson. De la montagne de Lure au plateau de Valensole, où les champs teintés de mauve filent à l'horizon, on en prend plein les yeux et le nez, notamment lors de la récolte fin juin, début juillet.