8 Janvier 2022
Un jeune ambitieux, Alexandre Dumas, dit Dumas père, naît à Villers-Cotterêts (Aisne) en 1802. Il est le fils d'un général qui commanda la cavalerie de Bonaparte en Égypte. Orphelin à 3 ans, il passe une enfance libre et peu studieuse. N'ayant d'autres ressources que la modeste pension que touchait sa mère comme veuve de général, le jeune homme dut songer de bonne heure à se créer des moyens d'existence et il devient clerc chez un notaire de Villers-Cotterêts. - Je venais d'avoir 15 ans, raconte-t-il lui-même, lorsque ma mère entra un jour dans ma chambre, s'approchant de mon lit en pleurs et me dit : «Mon ami, je viens de vendre tout ce que nous avons, pour payer nos dettes» - Eh bien, ma mère ? - «Eh bien, mon pauvre enfant, nos dettes payées, il nous reste deux cent cinquante-trois francs» - De rente ? Ma mère sourit amèrement - «En tout !» - Alors, ma mère, je prendrai ce soir cinquante-trois francs et je partirai pour Paris - «Qu'y feras-tu, mon pauvre ami ?» - J'y verrai les amis de mon père : le duc de Bellune, qui est ministre de la guerre, Sébastiani, Jourdan...- Muni des cinquante-trois francs, Alexandre Dumas embrassa sa mère et se rendit à Paris. Il vit successivement Sébastiani, Jourdan, Bellune, anciens amis de son père ; mais il reçut un accueil indifférent. Il eut plus de chance auprès du général Foy, à qui il avait été recommandé par un électeur influent du département de l'Aisne. «Voyons, que ferons-nous, lui dit le général ?» - Tout ce que vous voudrez. - «Il faut d'abord que je sache en quoi vous êtes doué» - Oh ! à pas grand-chose.- «Voyons, que savez-vous ? un peu de mathématiques ?» - Non, général - «Vous avez fait du droit ?» - Non, général - «Vous avez sans doute quelques notions de géométrie ou de physique ?» - Non, général - «Vous connaissez le latin ou le grec ?» - Très peu - «Vous vous entendez peut-être en comptabilité ?» - Pas le moins du monde - Et à chaque question, Alexandre Dumas, sentait la rougeur lui monter au visage ; - C'était la première fois qu'on le mettait ainsi face à face avec son ignorance - «Donnez-moi votre adresse dit le général Foy, je réfléchirai à ce qu'on peut faire de vous». Dumas écrivit son adresse. «Nous sommes sauvés, s'écria le général en frappant dans ses mains : vous avez une belle écriture». Trois jours plus tard, Alexandre entrait dans les bureaux du duc d'Orléans, en qualité de simple expéditionnaire, aux appointements de douze cents francs. Dumas songea alors à refaire son éducation. Il passait une partie de ses nuits à apprendre les langues anciennes, ou à lire les principaux auteurs de la littérature française. Il suivit de près, en particulier, l'impulsion que l'école romantique donnait à la littérature contemporaine et il ne tarda pas à deviner ce qui, dans les théories nouvelles, pouvait frapper fortement les esprits. Après trois ans d'un travail ardu et opiniâtre, Dumas publiera un volume de Nouvelles (1826), puis quelques pièces de théâtre dont la plus célèbre fut Christine de Suède (1827). Cette pièce, chaudement recommandée par Charles Nodier, mais boudée par les sociétaires de la Comédie-française, fut soumise à la décision de Picard : «Avez-vous une fortune ? » - Pas l'ombre, monsieur - «Quels sont vos moyens d'existence ?» - Une place de douze cents francs - «Eh bien, mon ami, retournez à votre bureau». Ce jugement sommaire ne découragea pas le moins du monde Alexandre Dumas. Il démissionne de son poste auprès du Duc d'Orléans, participe à la révolution de 1830 puis à celle de 1848. Il se présente deux fois comme député dans l'Yonne et essuie deux échecs. Il rejoint alors en 1859 l'armée de Garibaldi en Italie, où il reste pendant quatre ans. Il entreprend de nombreux voyages, tantôt pour le plaisir, tantôt pour fuir le régime politique ou ses créanciers.
Sa vie devient alors un véritable roman : il multiplie les duels et les aventures amoureuses (il aura 12 enfants, tous de mères différentes), fréquente les cercles littéraires et fait la connaissance de Victor Hugo, chef de file du romantisme.
Dumas écrit depuis 1825. Il connaît son premier grand succès avec sa pièce La Noce et l'enterrement. Dès lors, il ne cesse d'écrire : plus de 300 ouvrages au total, dont des pièces de théâtre [Henri III et sa cour, Kean...], des romans [Les trois Mousquetaires, Le comte de Monte-Cristo, La Reine Margot...], des mémoires, des articles, des chroniques (avec Gérard de Nerval) et même un dictionnaire de cuisine ! Il devient l'écrivain le plus populaire de l'époque romantique. Dumas gagne, grâce à ses écrits, une fortune considérable mais ne cesse de s'endetter.
Dumas était un homme jovial et entouré. Il a essentiellement été critiqué par Eugène de Mirecourt, connu pour sa méchanceté. Dumas n'était d'ailleurs pas sa seule cible. Mirecourt avait dressé des charges très dures sur presque tous les auteurs de cette époque. De plus il ne faut pas oublier que Dumas était un quarteron, petit-fils d'une esclave noire. Cela lui valait déjà des inimitiés.
On s'étonnait qu'un nombre si prodigieux d'ouvrages ait pu sortir de la plume et du cerveau de cet homme. En 1847 il eut un procès à soutenir contre deux grands journaux parisien. Alexandre Dumas s'était engagé à leur fournir annuellement, plus de volumes que n'en pouvait écrire l'auteur le plus habile, et on découvrit qu'il avait des collaborateurs secrets et en particulier Auguste Maquet, qui a revendiqué, au moins pour moitié, la propriété des romans les plus populaires et des drames à grands spectacles qui en furent tirés. Alexandre Dumas, s'est défendu du reproche de s'être approprié l'oeuvre de ses collaborateurs, en justifiant qu'il employait ses élèves pour l'essentiel du travail, et qu'il corrigeait ensuite les ouvrages. Quant aux nombreuses compilations et même aux plagiats dont on l'accusait, il se justifia en disant - «L'homme de génie ne vole pas, mais conquiert»- et citait l'exemple de Molière et Shakespeare.
Alexandre Dumas n'a certes pas le style flamboyant d'un Victor Hugo, mais il possède une verve extraordinaire qui explique sans doute l'immense popularité qui a perduré depuis. Il est en effet l'un des auteurs les plus adaptés au cinéma, au théâtre et à la télévision.
En 1844, Alexandre Dumas était à l'apogée de sa gloire. Rompant avec le succès des Trois Mousquetaires et du Comte de Monte-Cristo (tous deux publiés dans des romans en série), il cherchait un endroit où il pourrait échapper à l'agitation de la ville et trouver le calme dont il avait besoin pour produire de nouveaux manuscrits pour ses éditeurs.
Dumas vivait alors à Saint-Germain-en-Laye. Épris par ce tronçon de la Seine, il a choisi un terrain sur les pentes de Port-Marly, à 20 km à l'ouest de Paris, comme endroit idéal pour construire sa nouvelle maison. Il a engagé Hippolyte Durand, un architecte de renom de l'époque, pour réaliser son rêve. Le rêve consistait en un château de la renaissance situé tout près d'un château gothique en miniature, doté de son propre petit fossé. Les jardins devaient être aménagés à l'anglaise, avec des grottes, des roches ornementales et des cascades....Dumas donna des instructions et le domaine fut créé selon ses souhaits.
Quand un architecte informa Alexandre Dumas qu'il en coûterait plusieurs centaines de milliers de francs pour créer le domaine élaboré à l'anglaise qu'il envisageait, le célèbre écrivain Français aurait répondu : «Je l'espère bien !»
Le 25 juillet 1847, amis, admirateurs et curieux se pressèrent pour sa pendaison de crémaillère...Il a baptisé son grand domaine le château de Monte-Cristo, et sa visite commence par une promenade le long d'un sentier boisé et à travers des grottes artificielles évoquant les grottes exotiques de l'île que son héros Edmond Dantès explore à la recherche de trésors cachés dans le château roman homonyme.
L'endroit isolé de la propriété donne l'impression que l'on se plonge dans les récits dramatiques et romantiques de Dumas.
Le Château de Monte-Cristo est un délice, avec des façades sculptées de tous les côtés. L'histoire, la personnalité et l'inspiration littéraire de Dumas sont visibles partout où l'on se dirige, des fleurs aux anges, en passant par les instruments de musique, aux armes héraldiques et aux bêtes étranges. L'écrivain avait placé des portraits de dramaturges historiques au-dessus de chaque fenêtre du rez-de-chaussée, mais Dumas lui-même occupe une place prépondérante, qui vous accueille toujours par le haut de l'entrée. Le blason de la famille est gravé sur le fronton, ainsi que la devise personnelle de Dumas : «J'aime ceux qui m'aiment». Enfin, les pinacles des deux tourelles du château portent le monogramme de l'écrivain.
Au premier étage se trouve l'un des points forts du château : un salon de style mauresque authentique.
Les murs sont décorés de fines sculptures de stuc et d'arabesques. Ils ont été fabriqués par des artisans tunisiens au service du Bey de Tunis, commandés et apportés ici par Dumas après un de ses voyages.
Le château néogothique, appelé par Dumas château d'If est son cabinet de travail. Il le fit construire en face du château, et en a fait son cabinet de travail ! Dumas s'y enferme durant de longues heures pour écrire en paix.
Ce charmant castel entouré d'eau présente des particularités architecturales hors du commun. Dumas y imprime définitivement son âme : De nombreux titres d'oeuvres de l'écrivain figurent en effet sur les façades aux côtés des représentations sculptées dans la pierre de quelques héros tels qu'Edmond Dantès ou le Moine Gorenflot....
On peut y lire : «Laissez-les me jeter la pierre. Les tas de pierre c'est le commencement du piédestal».
Le parc entoure le château d'une étreinte verte, un cadre gracieux. Dumas souhaitait un jardin à l'anglaise planté des plus beaux arbres : «mélèzes, sapins, chênes, bouleaux, charmes, tilleuls...». Les caractéristiques naturelles de la région, combinées à ses nombreuses sources, étaient les ingrédients parfaits pour l'atmosphère romantique idéalisée qu'il recherchait et le résultat est magnifiquement mis en scène. Des fontaines, des rocailles et des cascades ont complété l'effet.
Monte-Cristo est du pur Alexandre Dumas, un véritable reflet de son imagination créatrice. C'est particulièrement vrai pour le parc, où la générosité d'esprit et les extravagances de Dumas captivent à présent comme il le faisait de son vivant.
Dumas aimait recevoir à Monte-Cristo. Il a tenu la cour, a diverti ses conquêtes féminines et a organisé de fabuleuses fêtes, servant des plats culinaires de son cru. Sa porte était ouverte à tout le monde, y compris à ceux qui vivaient à ses frais, profitant de son hospitalité légendaire et de sa franchise.
La maison de Dumas était également remplie d'animaux domestiques. Chiens et chats parcouraient les lieux, mais la ménagerie comprenait des perroquets, des singes et même un vautour...La vie n'était jamais ennuyeuse chez Dumas. Cela ne pouvait pas durer éternellement, pas même pour Dumas. En 1848, poursuivi par ses nombreux créanciers, Dumas décida de vendre sa propriété ainsi que tous ses meubles et objets de décoration. Le 22 mars 1849, Alexandre Dumas la vendit pour la modique somme de 31 000 francs-or, bien que la propriété lui ait coûté des centaines de milliers de francs-or. Toujours attaché à son domicile, Dumas put rester à Monte-Cristo avec le consentement de l'acheteur, jusqu'en 1851. Il passe la fin de sa vie à la charge de son fils, Alexandre Dumas fils à Puys, près de Dieppe. En arrivant, il a ces mots lucides : «je viens mourir chez toi». On l'installe dans la plus belle chambre de la maison, où il meurt d'un accident vasculaire le 5 décembre 1870. Il a 68 ans, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne s'est jamais épargné. Notamment pour ce qui est du vin et de la gastronomie. D'ailleurs, à la fin de sa vie, il est justement en train d'écrire un Grand dictionnaire de cuisine, qui restera inachevé. Il sera enterré à Villers-Cotterêts, sa ville natale. Mais le 30 novembre 2002, malgré les protestations des habitants, sa dépouille est transférée au PANTHÉON à Paris. Son cercueil, porté par quatre mousquetaires, est frappé de la célèbre devise «Tous pour un, un pour tous !» Que l'on prononce souvent à l'envers. La veille de sa mort, Alexandre Fils avait trouvé son père le visage fermé. «À quoi songes-tu, papa ?», «Alexandre, crois-tu qu'il restera quelque chose de moi ?», «Ça, papa, je te le jure !».
En 1969, le château de Monte-Cristo, qui commence à se délabrer est menacé de destruction au profit d'un vaste projet immobilier. Un combat est alors mené de front par les trois villes de Marly-le-Roi, Port Marly et le Pecq qui se réunissent et créent un Syndicat intercommunal ainsi qu'une association, la Société des amis d'Alexandre Dumas. Ils sauvent pas conséquent le château de la destruction. Depuis le site a été classé monument historique, le château de Monte-Cristo et le château d'If ont été restaurés (façades, toitures, escaliers, décorations intérieures, création d'une bibliothèque) À ces travaux d'envergure, se sont ajoutées la restauration de la réalisation du parc ainsi que la mise en place de structures d'accueil. Le salon mauresque a été entièrement restauré par des artisans marocains grâce au mécénat du roi Hassan II du Maroc.
Il ne manque au domaine actuel, pour être conforme à l'original, que l'espace occupé par les écuries.
Le Syndicat intercommunal et la société des amis de Dumas, travaillent main dans la main pour assurer son rayonnement et ont a coeur de sauvegarder le patrimoine architectural hors du commun qu'Alexandre Dumas nous a laissé.