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Colette, aux racines de l'écriture ...

L'une des plus importantes écrivaines du XXe siècle a fait de sa Bourgogne Natale le rouage essentiel de son oeuvre littéraire. La Renaissance de sa Maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye (89) fixe à jamais le décor de son enfance heureuse. 

«Ma maison reste pour moi ce qu'elle fut toujours : une relique, un terrier, une citadelle, le musée de ma jeunesse. Mes yeux près de s'éteindre se lèveront vers son toit d'ardoise violette, brodé de lichen jaune et nous demeurerons, elle et moi, une seconde suprême, moitié ici, moitié déjà là-bas». 

Ces quelques lignes, extraites de «La retraite sentimentale», un livre publié par Colette en 1907, en disent long sur l'attachement de l'écrivaine au berceau de ses jeunes années et tout particulièrement à sa maison d'enfance de Saint-Sauveur-En-Puisaye, une petite bourgade de l'Yonne. Un lieu, dont elle ne s'est jamais éloignée en pensée et qu'elle évoque à maintes reprises dans ses livres «au point d'en faire un personnage essentiel de toute son oeuvre» rappelle Gérard Bonnal, auteur de plusieurs ouvrages sur Colette.

Cette maison bourgeoise, sans doute à l'époque la plus belle du village, est un lieu de vie essentiel dans la formation de la personnalité de Colette, souligne Frédéric Maget, directeur de la maison de Colette. C'est ici, à force de sillonner la campagne, que se sont développés ses dons d'observatrice et son sens de la vie, une singulière sagesse liée à la terre, toute d'attention aux bêtes, aux plantes et aux saisons. Mais au-delà de cette maison, c'est toute la Bourgogne que Colette n'a cessé de louer après l'avoir quittée honteuse et précipitamment à l'âge de 18 ans. Toute sa vie, elle a porté fidèlement dans les salons parisiens l'accent rocailleux de sa terre natale, (une voix de syrinx où perchait avec toutes les variations d'un Beaune, le roulement des r comme un vin dans le chai). Ce qui fit d'elle une éternelle paysanne, tout à la fois une parisienne en province et une provinciale à Paris. «J'appartiens à ce pays que j'ai quitté», répétait-elle à l'envi. Toute sa vie, elle a chanté les étangs de Puisaye, ses forêts, les produits du terroir, les vins de Bourgogne.....Comme une revanche. «Même quand elle raconte Saint-Tropez où elle séjourna plus tard, les paysages se superposent à ceux de son enfance. Ce passé l'a toujours rassurée, il était sa vérité, une consolation», résume Samia Bordji, responsable du centre Colette a Auxerre (89). 

Pour comprendre cet attachement, il faut se plonger dans «le paradis» de ses jeunes années. 

Colette

Colette naît et grandit dans une famille qu'aujourd'hui on dirait recomposée. Sa mère Sodinie Landoy, est élevée par ses deux frères journalistes dans un milieu de libres penseurs. Mais sans dot, elle est mariée de force à un riche propriétaire terrien, laid et alcoolique. Sa chance voudra qu'il meure prématurément, la laissant libre d'épouser un saint-cyrien, le capitaine Colette, nommé par l'empire percepteur de Saint-Sauveur après avoir perdu une jambe à la bataille de Melgnano, en Italie. Aux deux enfants de ce premier lit s'ajoutent un garçon et la petite dernière, Sidonie Gabrielle Colette, future présidente de l'académie Goncourt. L'enfance de l'écrivaine est toute rose. Colette fréquente l'école du village où elle est parfaitement intégrée. Ce n'est pas le cas de ses parents, jalousés et considérés comme deux étrangers. Aussi, la famille n'a pas d'amis, reçoit peu et vit en vase clos. Sidonie, dite Sido, «élève ses enfants avec le sentiment qu'ils sont des êtres supérieurs aux communs des mortels», raconte Samia Bordji. Son père lui fait découvrir très tôt les grands classiques de la littérature. À sept ans, elle reçoit en cadeau le théâtre complet d'Eugène Labiche. Mais c'est l'oeuvre de Balzac qu'elle lit et relit qui la réjouit le plus. Elle est aussi musicienne, joue du piano comme tous les membres de la famille. «Une famille qui chantait en choeur des opéras lors des promenades dominicales», rapporte Samia Bordji. Seule ombre au tableau, son père, ne sait rien refuser à sa femme qui dépense sans compter. Au point qu'en 1891, la famille se retrouve ruinée et criblée de dettes. Ce qui va aboutir à la vente aux enchères de la maison et de tous ses biens. La famille est contrainte de se réfugier chez Achille, le fils aîné, devenu médecin dans le Loiret. 

Colette a 18 ans et vit très mal ce départ forcé et l'éparpillement du décor de son enfance. La blessure ne se refermera d'ailleurs jamais et explique en partie ce passé omniprésent dans son oeuvre littéraire. 

«Colette avait pensé après la Grande Guerre revenir s'installer à Saint-Sauveur, avant d'y renoncer en raison de l'hostilité du village. Pour écrire «Claudine à l'école», paru en 1900, Colette avait trempé sa plus dans l'acide et s'était vengée des habitants de Saint-Sauveur en les caricaturant. Ainsi, on raconte qu'en 1925, arrivée pour l'inauguration de la plaque de la façade, l'écrivaine ne put sortir de sa voiture car les villageois l'attendaient avec des pierres», raconte Gérald Bonal. Colette n'y reviendra qu'en visiteuse anonyme, pour de brèves escapades toujours à la recherche d'émotions perdues et de ce temps qu'elle avait aboli, dans ce décor fondateur.

Après les déboires financiers de ses parents, Colette est mariée rapidement au fils d'un ancien compagnon d'armes de son père, Henri Gauthier-Villar, de 14 ans son aîné, connu sous le sobriquet de Willy. L'homme est critique d'art, échotier, patron d'une petite maison d'édition. C'est aussi un dandy, flambeur et libertin. À ses côtés, le jeune ingénue découvre les salons parisiens et les milieux littéraires. C'est d'ailleurs lui qui l'incite à écrire ses premiers livres : la série des Claudine qui sera publiée sous le nom de Willy ! Lasse d'être trompée et exploitée, Colette divorce en 1906, s'émancipe et poursuit sa carrière littéraire. Mais pas seulement. Elle est aussi danseuse au Moulin Rouge, mime au music-hall, actrice de théâtre, journaliste pour divers titres : Le Figaro, Le Matin, France-Soir, Marie-Claire pour ne citer que les principaux. Sa vie sentimentale défraye par ailleurs la chronique et lui donne la réputation d'une scandaleuse transgressive. Habituée des cercles lesbiens, Colette est un Don Juan en jupons. Mais celle qui fait battre son coeur, c'est Missy Aka Mathilde de Morny, une riche héritière, nièce de Napoléon III. En 1907, elle l'embrasse à pleine bouche lors de la représentation de Rêve d'Egypte au Moulin Rouge. Choquée, la foule quitte la salle et le spectacle est annulé par la police.

En 1912, elle se remarie au baron Henry de Jouvenel, par ailleurs rédacteur en chef du journal - Le Matin - , avec qui elle aura son seul enfant : Bel-Gazou. Dès lors, elle se recentre sur l'écriture. Une écriture de plus en plus travaillée, ciselée, sensuelle, presque musicale qui recourt à des métaphores précises et souvent très évocatrices. Ce qui aboutira à ses plus beaux ouvrages, «Chéri», publié en 1920, dans lequel Colette explore les amours subversives d'une femme mûre pour un jeune homme. Un livre prémonitoire puisque sa nouvelle conquête n'est autre que Bertrand de Jouvenel, âgé de 17 ans (elle en a 47), le fils de son compagnon de l'époque. Un idylle quasi incestueuse qui sera tenue secrète pendant cinq ans.  Puis elle écrit «Le blé en herbes» et «Gigi».

En 1925, elle se marie pour la troisième fois avec Maurice Goudeket, mais dès la fin des années 30, elle souffre d'une arthrite de la hanche qui ralentit durablement sa production, jusqu'à sa mort en 1954. 

Elle reste aujourd'hui l'une des plus importantes écrivaines du XXe siècle. 

La maison de Colette, rachetée en 2011 avec l'aide de l'État par des passionnés regroupés en association a été ouverte au public après d'importants travaux. Grâce aux nombreux textes de Colette décrivant avec une grande précision les motifs des tapisseries, la décoration, la forme et les matériaux du mobilier, les bibelots, le contenu de la bibliothèque....La maison de Colette a pu être reconstituée de façon extrêmement fidèle. «En parallèle, nous avons vérifié l'exactitude de ses souvenirs dans les actes notariés, mais aussi grâce aux traces retrouvées sur place par les stratigraphies et les peintres», raconte le directeur de la maison Colette, Frédéric Maget. Il a fallu ensuite refaire faire les papiers peints, puis les poser comme à l'époque, avec de la colle de peau de lapin. Mieux, les recherches entamées par l'ancienne institutrice du village, Marguerite Boivin, dans les années soixante-dix, et poursuivies depuis, ont permis de racheter 30 % du mobilier d'origine, dont le piano de Colette. Le reste a été reconstitué. «Nous avons recherché chez des antiquaires ou des particuliers des meubles d'époque conformes aux descriptions de Colette et aux inventaires». Poursuit Frédéric Maget. 

Le jardin, qui fut pour la jeune Colette un terrain de jeu et le lieu de tous les émerveillements, a lui aussi été recréé à l'identique. 

En réhabilitant ce lieu, l'association de la maison de Colette a sans doute réalisé le vœu le plus secret de l'écrivaine, fixer à jamais le décor d'une enfance heureuse, comme si le temps s'était arrêté en 1891.  

Colette dans son appartement parisien

En marge de cette maison, il existe à Saint-Sauveur un musée Colette réalisé à partir des dons de Bel-Gazou, sa fille unique. Ce qui a permis de reconstituer plusieurs pièces de l'appartement parisien de l'écrivaine donnant sur les jardins du Palais Royal qui sera la dernière et plus célèbre demeure de Colette, mais aussi de présenter quantité des photos, lettres et documents originaux. Un film de 45 minutes retraçant sa vie est également diffusé en boucle.

Mon premier matin au Palais-Royal fut, paupières encore fermées, l'illusion d'un beau matin de campagne, car sous ma fenêtre cheminaient ensemble un râteau de jardinier, le vent courant d'ouest dans les feuillages, et cette liquide gorgée qui monte et descend dans le cou sonore des pigeons...
«Colette».

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