19 Avril 2022
Poète et philosophe de la société, Marcel Proust est un écrivain universel, intemporel, traduit dans toutes les langues. «À la recherche du temps perdu», ce monument de la littérature française, propose l'histoire d'un individu qui ressemble à son auteur, l'histoire d'une société qui est d'un temps et de tous les temps et une philosophie de l'existence.
Marcel Proust est né en 1871 à Paris dans une famille bourgeoise et cultivée, dont l'aisance financière lui a permis de ne pas avoir à travailler alors qu'il a toujours souffert depuis son enfance d'une santé fragilisée par de graves crises d'asthme. Il suit des études littéraires à la Sorbonne dont il sort licencié en 1895 et s'adonne à une vie mondaine raffinée. Sans véritable métier, il s'essaie à être bibliothécaire, puis journaliste-chroniqueur, mais c'est bel et bien l'écriture qui le passionne.
«À la recherche du temps perdu». L'oeuvre monumentale et majeure de Proust est constituée de 7 ouvrages :
Marcel Proust fascine, en tant qu'écrivain et en tant qu'homme, les ouvrages le concernant sont d'ailleurs incroyablement nombreux. C'est parfois le côté très freudien de la relation mère-fils qui est étudié, la mise en lumière sans complexe d'une homosexualité très visible dans les écrits - en effet il n'hésita pas à évoquer son homosexualité via des personnages, en particulier celui de Charlus. L'attitude de ses parents, compréhensive, a sans doute permis au jeune homme une vie plus facile que d'autres homosexuels de cette époque - Mais c'est bel et bien cette écriture si particulière qui est la star.
Difficile donc de se pencher sur Marcel Proust sans parler de deux éléments qui ont été essentiels dans sa vie : une mère très présente et une santé fragile, les deux étant évidemment liés. Le bébé est né après un accouchement difficile et sa santé délicate dès la naissance provoque bien entendu une attitude maternelle plus protectrice. L'enfant est asthmatique et si l'on ajoute à cela qu'il échappe de peu à la mort à l'âge de neuf ans suite à une crise particulièrement violente, il semble normal qu'il ait été couvé par sa mère.
Si il est très protégé par sa mère, son jeune frère est quant à lui plutôt en phase avec le père, médecin hygiéniste de renommée mondiale. Un père qui ne parviendra jamais à convaincre le jeune Marcel à adopter une vie plus «normale», moins mondaine et plus respectueuse de sa santé. Car l'homme est un dandy, que l'on décrit comme un snob. Rien n'y fait : malade, mais aussi hypocondriaque, Marcel Proust pratiquera de plus en plus une automédication à outrance.
Devenu dépendant des médicaments, ce fils et frère de médecins réputés consomme notamment des somnifères qu'il commença à prendre lors de son service militaire. Il ira même jusqu'à refuser de consulter lors de sa pneumonie, préférant encore une fois se soigner seul, jusqu'à la mort.
Un contexte global qui va bien entendu jouer un rôle primordial dans le développement de ses ouvrages. Il voyage beaucoup, souvent en compagnie de sa mère, et le décès de celle-ci en 1905 qui intervient après celui de son père en 1903 va provoquer le début d'une autre vie, plus tourmentée, renfermée le jour, souvent mondaine la nuit, consacrée en grande partie à construire une oeuvre.
Céleste Albaret est une paysanne, devenue gouvernante de l'auteur de 1914 à 1922, date de sa mort. très âgée, elle a cependant témoigné au début des années 70 de cette expérience si exceptionnelle. Silencieuse jusque-là, elle a finalement révélé quelques éléments sur la personnalité de celui que l'on peut qualifier de génie de l'écriture. Exigeant, l'homme l'était. D'autant que sa vie le portait plutôt à vivre la nuit que le jour. Il écrit dans une chambre froide et sans lumière, sinon il sort. Le mari de la gouvernante fait quant à lui office de chauffeur. Mais si les horaires de Monsieur Proust en font un personnage atypique, il est pourtant «un bon maître». On pourrait avoir du mal à l'imaginer, mais Marcel Proust est joyeux, souriant, il parle à sa gouvernante comme à une amie, racontant ses soirées, y compris intimes parfois, commençant à imaginer en lui parlant ce qu'il va commencer à écrire ensuite.
Céleste l'adore et ne souhaite pas travailler pour qui que ce soit d'autre. Elle remplit le rôle d'une maman de remplacement : «Ce qu'il y avait de beau avec lui, c'était qu'il y avait des instants où je me sentais comme une mère, et d'autres comme son enfant». explique-t-elle. Difficile d'imaginer Proust riant avec sa gouvernante ? pourtant cela arrive, et très souvent.
Cette recherche du temps est en quelque sorte le symbole de la quête artistique, intemporelle, et dont le style paraît parfois inachevé, parfois discontinu et difficile à suivre. On doit entrer dans l'univers de l'écrivain, se perdre dans les méandres de son inspiration sans respecter aucune chronologie, en espérant arriver à une unité finale. Car on ne peut pas vraiment qualifier l'oeuvre de Proust, elle est sans véritable intrigue, difficile de la réduire à un sujet.
Par moment, il semble que l'auteur cherche à être partout à la fois, mais sans y parvenir évidemment. On ne peut occuper plusieurs espaces en un temps unique, sauf via le souvenir et une sorte de multiplicité du temps qui finit par l'abolir. Il est probable que si Proust avait été peintre, il aurait été séduit par le cubisme, fractionnant des morceaux de l'homme avant de procéder, peut-être, à un assemblage. Ces éléments de temps qui reviennent ainsi provoquent aussi une angoisse existentielle.
D'après Proust, il est impossible de connaître vraiment le monde, cette connaissance inachevée est typiquement de la pensée proustienne, et de la mort qui vient interrompre une vie. Cette sensation de «jamais fini» est par exemple donnée par les répétitions fréquentes dans le roman. Rien ne se termine jamais et l'oeuvre d'art peut donc être repensée, recommencée. On peut donc dire que la philosophie imprègne en réalité tous les écrits de Proust qui a réussi le tour de force de construire une oeuvre forte et puissante.
Proust n'est pas un philosophe au sens classique du terme, même si nombreux sont les philosophes modernes comme Raphaël Enthoven à lui vouer un véritable culte, en déclarant notamment dans un livre co-écrit avec Jean-Paul Enthoven «Dictionnaire amoureux de Marcel Proust» (Ed. Plon Grasset) :
«La Recherche a pour effet de dissoudre la douleur qu'on éprouve dans l'intérêt qu'elle nous inspire. Or, il est très rare que l'intelligence ait une prise sur les émotions. A quoi Proust doit-il d'y parvenir ? Le fait est qu'aucune douleur, ou presque, ne résiste à sa lecture. Et puis, c'est un étrange objet dont la beauté d'ensemble ne recouvre pas celle de chaque phrase. Un livre infini et vivant en chacune de ses parties : on peut l'entamer par le milieu et s'apercevoir qu'on est en terrain familier, ou qu'on a vécu le matin même ce que Proust a écrit un siècle plus tôt. Quand on en est là, les jeux sont faits. Le livre est entré dans votre vie. Vous n'en sortirez plus».
Particulièrement porté sur cette science, Proust jeune homme déclara d'ailleurs à son père que tout ce qui n'était pas littérature ou philosophie était du temps......Perdu.