3 Février 2023
Dans la mémoire collective, Dagobert 1er garde l'empreinte d'un souverain facétieux et tête en l'air - tant et si bien qu'il aurait mis sa culotte à l'envers, d'après la comptine bien connue ....Qu'en disent les historiens ?
♪♫ «Le bon roi Dagobert a mis sa culotte à l'envers ; le grand saint Éloi lui dit Ô mon Roi ! Votre majesté est mal culottée ....C'est vrai lui dit le roi, je vais la remettre à l'endroit » ♪♫
Voici la principale cause de la métamorphose du roi Dagobert en pitre : une comptine du XVIIIe aux accents antiroyalistes. Mais la vérité, c'est qu'on ne sait pas grand-chose de ce souverain mérovingien du VIIe siècle. Devenu roi des Francs en 632, à la mort de son frère Charibert (dont il a fait assassiner l'héritier pour s'assurer de la mainmise sur l'ensemble du territoire), il tente d'unifier un royaume morcelé en se rapprochant des Saxons, des Bretons et des Gascons. C'est d'ailleurs lui qui décide d'installer sa capitale à Paris : un geste pour l'histoire !
Les chroniqueurs de Saint-Denis ne se lassent pas de louer les vertus de ce roi sage et généreux. «discret et prévoyant en jugement, noble et fier en armes, large en aumônes, étudiant et curieux en réformant la paix entre les églises, dévot enrichisseur et fondateur d'abbayes». Il faut dire que Dagobert est le premier bienfaiteur de leur église. Ce n'est pas pour autant un roi saint : il dirige plusieurs campagnes militaires contre les Wisigoths, tient les puissances slaves en respect et se rapproche de Byzance et de ses richesses.
On l'associe à une activité sexuelle débridée - «démesurée luxure» hasardent les chroniqueurs - ce qu'il est difficile d'estimer à treize siècles de distance. Néanmoins, une chose est certaines : Dagobert 1er fut un grand roi, figure presque absolutiste, étant parvenu à asseoir son autorité sur un territoire disparate et à défendre ses frontières à grand renfort de francisque.
Une question s'impose : comment est-on passé d'un souverain diplomate et hargneux au roi débonnaire de la comptine ?
Tout simplement, par une habile opération de propagande déguisée ...Progressivement oubliée à mesure que les chroniques se perdent, intégré à la galaxie semi-légendaire des rois francs dont les exploits sont émoustillés de faits fantastiques.
Dagobert est réintroduit en fanfare dans la propagande révolutionnaire de la seconde moitié du XVIIIe siècle. La célèbre comptine lui assure la postérité : mais sous les traits du Mérovingien, c'est Louis XVI que l'on cherche à décrédibiliser.
Les rois fainéants (670-752). Lithographie en couleurs par E. Crété d'après une illustration de H. Grobet, Histoire de France, Paris, Émile Guérin, 1902. © Wikimedia commons
On les imagine paresseux, incapables, ivrognes, vautrés dans des chars tirés par des bœufs. Les rois mérovingiens entretiennent dans la mémoire collective, le souvenir peu reluisant de souverains ayant «fait néant».
«Ces rois ne régnaient que de nom ; c'était leur usage de remplir le rang que leur donnait leur naissance, mais de ne rien faire ou résoudre, sinon de manger et de boire déraisonnablement». Voici ce que dit d'eux le chroniqueur Sigebert de Gembloux, qui écrit au début du XIIe siècle. Eux, ce sont Thierry III. Clovis IV, Childebert III, Dagobert II, Chilpéric II, Thierry IV et enfin Childéric III. Une galaxie de souverains mérovingiens dont les règnes hachés s'étendent de 673 à 751.
En moins d'un siècle, ces souverains francs n'ont pas laissé beaucoup de faits glorieux à célébrer dans les chroniques. Leurs règnes brefs, minés par les disputes de succession, raccourcis par la maladie ou l'ambition de leurs propres familles, ne leur ont pas donné beaucoup de marge de manœuvre. Du reste, le paysage géopolitique des VIIe et VIIIe siècles est bien terne : entaché par les guerres civiles, traversé par les ravages des Burgondes et Wisigoth, marqué par la délicate cohabitation des Neustriens, des Aquitains et des Australiens, il voit triompher le paganisme et la barbarie. Pire, les souverains mérovingiens assistent, impuissants à l'effritement de leur pouvoir au fur et à mesure que les maires du palais, anciens intendants des rois devenus chefs de l'administration franque, montent en puissance.
En coulisses du pouvoir, ils disputent officieusement le trône des Francs : l'incontesté Charles Martel (688-741) illustre la victoire de ce clan au détriment des rois. À ce stade, les souverains mérovingiens font encore acte de présence mais enfoncés dans des fonctions purement symboliques ou représentatives.
C'est ici que l'on voit s'imposer le mythe du «roi fainéant» : privés de pouvoir, les souverains Francs s'adonneraient aux plaisirs de la boisson, des voluptés amoureuses et de l'oisiveté ! Le chroniqueur Éginhard, biographe et ami de Charlemagne, porte le coup de grâce au IXe siècle. «La famille des Mérovingiens, dans laquelle les Francs avaient coutume de choisir leurs rois, [...] avait depuis longtemps déjà perdu toute vigueur et ne se distinguait plus que par ce vain titre de roi, écrit-il. La fortune et la puissance publiques étaient aux mains des chefs de sa maison, qu'on appelât maîtres du palais et à qui appartenait le pouvoir suprême. Le roi n'avait plus, en dehors de son titre, que la satisfaction de siéger sur on trône, avec sa longue chevelure et sa barbe pendante, d'y faire figure de souverain».
Pourquoi tant de haine ? L'auteur de Vita Karoli prépare la «renaissance carolingienne» en diabolisant la lignée qui l'a précédée, quitte à éclipser certains mérites des Mérovingiens....Comme celui d'avoir donné au royaume Franc sa capitale ou d'avoir introduit la religion catholique !
Source : Les grandes énigmes de l'histoire