28 Novembre 2020
Un chapelet d'îles, des rivages découpés, de ports colorés et Göteborg seconde ville du pays, enjouée et vivante ...Cette région accueillante cultive un petit air de dolce vita.
Parfois la pierre sait planer comme un banc de brouillard. C'est à la lumière rase du matin qu'on observe le mieux ces gravures rupestres de Tanum dans la province du Bohuslän, égaillées sur la lande en un pique-nique de nappe brodées. Brodées ? la roche qui affleurait à plutôt été burinée par des artistes d'il y a trois millénaires, traçant à coups de galets dans le granit des ribambelles d'hommes, de femmes, survolées de bêtes à cornes et de chars solaires.
Entre lichens, bruyères et genévriers, nous passons de l'un à l'autre de ces dessins, accouplements vitalistes, scènes de ménage rehaussés par la peinture vermillon : un catalogue énigmatique qui, se riant des frontières, court sur 50 kilomètres jusqu'à Oslo.
En 1934, les "scientifiques, de la SS sont venus jusqu'ici, faire des copies en plâtre, espérant prouver que les Nordiques avaient inventé les hiéroglyphes". À Vitlycke, près du musée archéologique consacré à ces oeuvres, nous attendent les plus étonnantes : des navires gravés, des dizaines de navires chargés d'hommes en armes. Pas d'hier que les gens du Bohuslän ont la fibre marine, écumant la mer d'alors, tant le hareng abondait. En 1900, le poisson migre ailleurs. La pêche se met à vivoter. Les pêcheurs descendent 150 kilomètres au sud, chercher fortune "à la ville " - Göteborg.
Voici les ruelles de bois de Haga, leur ancien quartier.
L'industrialisation a changé la donne : les baraques devinrent corons à ouvriers. La tertiarisation est venue. Les squatters ont pris la suite, puis la fuite, faisant de Haga un taudis. Le maire décréta la "rénovation" - traduisez un rasage de près - Le peuple a dit non, et le pavé ancien est resté intact. Le bois vermoulu a été traité. Haga s'est gentrifié. À Göteborg, où un habitant sur sept est étudiant, le quartier magnétise par ses bars scandi et trendy. Les restaus végan y côtoient les designers, les boutiques où volettent les senteurs de bougies et de pot-pourri.
Deuxième métropole avec son million d'habitants, le premier port de Suède exhale l'ouverture à l'air du large, l'aspiration au vent libre. Sa position méridionale relative, 900 km sous le cercle polaire, fait passer la cité pour plus cool que Stockholm. Dans le grelottement joyeux des trams, cadres en trottinette et blondinettes à queue-de-cheval filent sous les atlantes athlétiques des immeubles, vers les terrasses de Kungsportsavenyn, l'avenue principale.
Les Suédois ont aussi leur verlan, et c'est l'heure sacrée du Fika, le café qu'escorte parfois un gâteau tout sirupeux de cannelle et de cassonade. "Avenyn" pour les locaux, axe vital de Göteborg, part du vieux centre et stoppe devant une statue de Neptune qui serre sur son torse nu un requin, tel un ours en peluche.
La municipalité la plus écolo de la planète se vante d'offrir à chaque administré un espace vert grand comme un cours de tennis. Pour ce faire, les murailles ont été démolies, mais le sol conserve la cicatrice en scie des bastions à la Vauban, du temps où l'Europe tremblait devant les Suédois.
Au XVIIe siècle, la guerre de Trente Ans les a vus tous mettre à sac jusqu'au lac de Constance, violant et se saoulant dans les caves d'Obernai. L'acier des rapières se taillait une réputation dont la Suède n'aime guerre parler.
Dans un pays qui ne jure que par le futur, une échoppe de brocanteur se voit, ça et là, accorder la mission de brader ce passé. On entre chez l'un d'eux. Entre les bibles râpées et des dentelles ornées de coeurs, on cherche à capter une particule d'histoire. Dans un journal périmé, le broc emballe les menus verre de cristal que nous venons d'acheter. Il encaisse nos quelques couronnes : "Ils (les verres) viennent d'un capitaine du XVIIIe siècle ; ils ont bien bourlingué !".
Dans le style d'Amsterdam ou de Bristol, les puissances maritimes rivales ont chacune dressé leur quartier général, encadrant le bâtiment de la Compagnie des Indes suédoise, devenu musée de la ville. On y découvre ce navire viking, dont les planches mal jointées font plus caisse à savon qu'héroïque drakkar. Voici la salle des enchères, où l'on s'arrachait les stocks chargés à Canton ou au Bengale, gavant jusqu'au pont les navires de porcelaines, de soieries, d'épices et de thés en sortes infinies.
Le musée Maritime complète notre découverte.
À son coeur défendant, il nous apprend que des comptoirs suédois s'activaient dans les roseaux du Delaware, que les navires négriers armés à Göteborg émargeaient à Gustavia - aujourd'hui Saint-Barth - Comment nier ce passé trempé dans les embruns ? Ici, même la Skanskaskrapan, ce gratte-ciel rouge, blanc et cubique a les airs gaillards d'un avant de tanker. À ses pieds, un bassin sombre s'encombre de vaisseaux ouverts à la visite : bateau pompe, bateau-phare, dragueur de mines, ses minées posées sur rails comme les canettes d'un distributeur. Et un sous-marin.
Nous mettons le cap à l'ouest sur les îles qui s'émiettent du sud de la ville jusqu'à la Norvège. De son bec vernissé, un huîtrier picore son dîner dans le sable gris perle. Sous un chaos de galets immenses, des façades de bois alignent leurs tons francs comme un drapeau d'Afrique : rouge écarlate, jaune maïs, vert wagon...
Juste devant, cliquettent les monocoques radoubés de frais. Nos pas prennent le rythme des pontons qui résonnent. Les goélands criaillent. Deux eiders froncent de leurs ailes les vagues lourdes. Nous avons choisi l'île d'Astol un peu au hasard, ou plutôt à l'oreille. Juste une pièce du puzzle de cette charpie de terre et de rochers ronds : Galtero et ses méplats désolés, brännö et ses bals rieurs, Marstrand et sa forteresse ▼
Près des casiers à homards aux filins hérissés par la brise humide, nous prenons le bac, qui tousse vers ces récifs gazonnés que les bicoques coiffent, presque en sursis.
Bien que la ville ait été fortifiée et populaire pendant des siècles, ce n'est qu'au XIXe siècle que Marstrand a pris une véritable importance. C'est à la suite de la découverte par la famille royale, c'est-à-dire le roi Oscar II, de l'île comme station balnéaire dans les années 1880. Aujourd'hui certains des bains publics et des anciennes résidences royales se trouvent le long du littoral.
Fortifié et imposant, l'impressionnant château de Marstrand remonte à des siècles. Construit au 17ème siècle par des prisonniers (1658 pour être précise !), il a fallu bien plus de deux cents ans pour terminer les fortifications. Aujourd'hui, il est possible de visiter le château de Carsltens et même de séjourner dans l'hôtel désormais logé entre ses murs épais ! En suédois, le château est connu sous le nom de Carlstens Fästning. Alors que Marstrand est largement considérée comme une destination principalement estivale, l'île reste jolie à visiter toute l'année. Avec des vues sur la lumière et sur la mer, la randonnée autour de l'île de granit nécessite de bonnes chaussures de marche, mais n'est pas trop fatigante lorsque l'on est habitués aux longues promenades.
On nous a donné l'adresse d'un couple qui tient une fumerie de crevettes. L'accueil est chaleureux, contre la petite fumerie, ils ont greffé un restaurant. Des échanges simples et rieurs, avant le dernier ferry. Nous courrons pour l'attraper : "Vous le loupez ; vous dormez chez nous, hein ? " - La chaleur du Sud !