21 Janvier 2022
Le voyage extraordinaire repose sur 800 ans d'histoire au château de Clos Lucé, autrefois appelé Manoir du Cloux, situé au centre d'Amboise, dans le département de l'Indre-et-Loire, et la région naturelle du Val de Loire (anciennement appelée Touraine). Construit par Hugues d'Amboise en 1471, le château a connu plusieurs propriétaires célèbres tels que le roi français Charles VIII et Léonard de Vinci. Le Clos Lucé se trouve à 500 mètres du château royal d'Amboise auquel il est relié par un passage souterrain. Le passage secret, en partie effondré, n'a jamais été totalement exploré. De quoi donner à rêver.
Le roi Charles VIII a acheté le château à Étienne Le Loup en 1490 et est devenu à cette époque connu sous le nom de «maison d'été», abritant la royauté française. Après quelques décennies, François 1er rencontre Léonard de Vinci en Italie lors d'une guerre entre la France et L'Italie, ce jeune roi (21 ans) qui a été couronné il y a à peine un an est impressionné par l'intelligence et l'esprit de Leonardo, et lui propose de venir s'installer en France. L'artiste accepte et François 1er l'installe au Clos Lucé en 1516. Il apporte de Rome ses carnets et trois de ses oeuvres majeures : La Joconde ; La sainte Anne et le Saint Jean-Baptiste, conservées aujourd'hui au musée du Louvre à Paris.
A 63 ans, il sait que ce voyage est son dernier. Il ne reverra plus jamais les collines de Toscane où il est né. Il n'entendra plus le bruit des tanneurs de cuir dans les rues de Florence. Il ne terminera pas non plus la fresque de la bataille d'Anghiari, dans le Palazzo Vecchio de Florence. Il ne pleurera plus de rage en espérant les commandes qui échoient à ses rivaux, Botticelli à Florence, ou Raphaël à Rome.
Celui qui chevauche à ses côtés, le juvénile Francesco Melzi, est inquiet. Ils sont même nombreux à se demander s'il est bien raisonnable que leur vieux maître confie son destin à un monarque si jeune, si intrépide, si capricieux.
«Francesco, as-tu bien enveloppé les trois tableaux dans les sacoches ?» lance Léonard de Vinci. «Oui, maître. Bien sûr. «La Joconde», le «Saint Jean-Baptiste» et la «Sainte Anne» sont emballés dans les sacs en cuir que transporte le mulet juste derrière nous» Ce sont là de bien beaux présents, ajoute Francesco. Léonard lui répond : «Il n'est pas question de faire cadeau de ces tableaux à ces cours Italiennes qui n'ont pas compris mon génie. Je sens que François 1er est le protecteur que je cherche depuis toujours, réjouis-toi de cette invitation, Francesco ! Sans l'hospitalité du roi de France, ma vie n'aurait été qu'errance et mendicité. Je suis certain qu'il me recevra comme il se doit».
Lorsqu'ils arrivent en France, François 1er fait savoir à Léonard qu'un château les attend en Touraine, tout près de sa résidence d'Amboise. Quelques jours plus tard, le roi rentre de campagne et vient rendre visite au maître. Subjugué par sa beauté et son charme, l'artiste s'incline devant le souverain. «Majesté, merci de m'avoir accueilli ici, c'est un havre de paix, de solitude, au milieu de la nature, dont je rêvais». Magnanime, le roi lui dit : «Je te confie la charge de premier peintre et t'accorde une pension exceptionnelle de 700 écus d'or par an». En l'entendant prononcer ces mots, Léonard prend les mains du monarque et les porte à ses lèvres. «Ta seule tâche, ici, Léonard, poursuit le roi, sera de rêver, de penser et de travailler ! Tu l'auras compris, je veux que tu exerces tout autant le dessin, la peinture, la sculpture, la littérature, la musique, le chant, l'anatomie, la botanique, l'art militaire, la géométrie, l'architecture, la poésie, et ton talent de metteur en scène de fêtes féeriques! Ton prochain chantier sera le baptême du futur dauphin. J'aimerais que cet événement soit inoubliable». Sur le point de prendre congé de l'artiste, le roi se retourne : «Ah j'oubliais ! En plus des terres, des écuries, je te cède aussi la cuisinière de mon enfance, Mathurine».
Pendant deux ans, Léonard passe de projets en chantiers, construisant des décors pour les baptêmes et les mariages royaux à grand renfort d'effets spéciaux, imagine un champ de bataille et la prise d'une ville italienne pour célébrer les victoires du roi de France. Puis, il dresse des plans d'ouvrages fluviaux, et imagine un palais grandiose dans la ville nouvelle de Romorantin. L'imagination de Léonard s'épanouit grâce au roi de France, qui l'aime et pourvoit à tout.
L'artiste meurt le 2 mai 1519, à l'âge de 67 ans. A l'annonce de sa disparition, la cour se trouve au château de Saint-Germain-en-Laye. François 1er s'effondre, ne pouvant retenir ses larmes. Il déclare alors : «Il n'y a jamais eu un autre homme né au monde qui en savait autant que Léonard, autant en peinture, sculpture et architecture».
Grâce à ses illustres propriétaires, ce château est aujourd'hui classé «monument historique» et est donc protégé de la démolition et de la reconstruction. Il est la propriété de la famille Saint Bris depuis 1854, qui a décidé de l'ouvrir au public en 1954. Le Clos Lucé a retrouvé toute sa prestance Renaissance après d'importants travaux de rénovation.
Visiter les salles du château et imaginer Leonardo y vivant et y travaillant.
La chambre de Léonard donnait sur le Château Royal d'Amboise. C'est dans cette maison qu'il a écrit son testament en léguant ses manuscrits et cahiers de dessins et de croquis à son disciple bien aimé, Francesco Melzi.
La chambre de Marguerite de Navarre, la soeur aînée de François 1er, a été entièrement restaurée et meublée dans le style du VXIe siècle. Son portrait de François Clouet, peintre officiel du roi, est exposé dans l'une des vitrines.
L'oratoire d'Anne de Bretagne, épouse de Charles VII, est orné de quatre fresques, dont l'une de l'Annonciation peinte par les disciples de Léonard. Au-dessus de la porte, la Vierge de la Lumière, Vierge Lucis, aurait inspiré le nouveau nom du château : Le Clos Lucé.
Au rez-de-chaussée du bâtiment, on retrouve les ateliers de vie de Léonard de Vinci et on découvre l'ambiance des bottegas typiques de la Renaissance dans son atelier d'artiste.
Le modèle de la «bottega» reposait sur trois principes fondamentaux : concrétiser les idées, stimuler le dialogue et favoriser la convergence entre l'art et la science.
Dans la bibliothèque, des fac-similés de l'Institut de France et des textes anciens s'alignent sur un étonnant cabinet de curiosités. Une production audiovisuelle utilisant la «technologie fantôme» est projetée.
Dans cette maison d'artiste, Léonard de Vinci réfléchit, invente et conçoit des requêtes royales depuis son atelier :
Imaginez entrer dans la cuisine inchangée et voir Leonardo se réchauffer près du haut foyer de pierre pendant que Mathurine, sa servante, prépare son repas végétarien. Passionné par les animaux, il ne mange pas de viande par respect pour ces derniers.
Leonardo avait selon lui une alimentation saine : «la sobriété des repas sains et un sommeil réparateur vous permettront de rester en bonne santé». Il écrit dans son Codex Atlanticus : «L'homme et les animaux ne sont qu'un passage et un canal à aliments, une sépulture pour d'autres animaux, une auberge de morts, qui entretiennent leur vie grâce à la mort d'autrui, une gaine de corruption».
Les quatre salles de visite situées au sous-sol permettent de mieux comprendre la connaissance approfondie de l'ingénieur Leonardo da Vinci. Des animations 3 D et 40 modèles illustrent la diversité des connaissances intuitives de Leonardo en matière d'ingénierie : avions, automobiles, hélicoptères, chars d'assaut. etc.
Le château situé au coeur d'un parc de 7 hectares, est traversé par l'Amasse, un affluent de la Loire. La façade de la maison est faite de briques roses et de pierres blanches. Elle est restée pratiquement inchangée depuis la Renaissance, dont un ancien passage couvert ▼
Dans le parc se trouve un pigeonnier du milieu du XVème siècle construit pas Etienne le Loup, pouvant abriter jusqu'à mille oiseaux. En 2003, Jean Saint-Bris a mis en place un parcours pédagogique et culturel dans le parc du Clos Lucé avec plusieurs bornes sonores et des machines impressionnantes inspirées de l'esprit de Leonard. Un jardin montre son travail en botanique et un pont à deux niveaux réalisé à partir d'un croquis de l'artiste.
Le parc offre une agréable promenade le long des cours d'eau et des chemins arborés à travers un parcours thématique d'une vingtaine de reproductions géantes des plans et d'une quarantaine de toiles translucides installées dans les arbres d'un parc grandiose. Ces maquettes constituent un musée et donnent une idée de son génie universel. On teste nous-mêmes ces utopies, devenues réalité aujourd'hui. On entre ainsi dans le char d'assaut, on fait tourner la roue à aube, on fait un tour en barque «Léonardienne» sur l'étang, à la rencontre des créations. Posées dans les arbres, des toiles géantes et translucides dévoilent des aspects de l'oeuvre : portraits, regard, silhouette de corps, dessins de botanique, d'anatomie, génie civil et militaire.
Enfin, ça et là dans le parc, des points sonores distillent des réflexions et pensées du maître :
«Alors que je croyais apprendre à vivre, j'apprenais à mourir ».
Léonard de Vinci est inhumé dans la chapelle du château d'Amboise. Son disciple, Francesco Melzi, écrivit à sa mort : «Nous pleurons tous la mort de cet homme, car la Nature ne saurait recréer son pareil».