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Le couteau, la cuillère et la fourchette, les éternels couverts.

 Le couteau, la cuillère et la fourchette, les éternels couverts.

Aussi ancien que l'homme, c'est au MOYEN ÂGE que le couteau se diversifie. Au point que tout seigneur respectable se doit d'embaucher un écuyer tranchant. 

Avec les flèches, le couteau est le premier outil inventé par l'homme, il y a plus d'un million d'années. Les techniques s'affinant, les pierres taillées de silex, quartz ou obsidienne de monsieur et madame Cro-Magnon possèdent un tranchant qui peut, 25.000 ans plus tard, rivaliser avec nos actuels outils. 

Les lames en fer apparaissent 1000 ans avant notre ère et sont pourvus de manches en os, en bois, en corne, en ivoire. Romains et Celtes sont les premiers à produire des couteaux en acier. Mais jusqu'au XVIIIe siècle, ils n'ont pas leur place sur les tables. 

Au moyen Âge, chaque convive apporte le sien. Comme l'assiette individuelle n'a pas encore fait son apparition, on sert les viandes déjà coupée sur une épaisse tranche de pain posée sur un tranchoir en bois, en argent ou en or. C'est autour de la découpe des viandes que se développe la coutellerie. Un art réservé aux seigneurs puis à des professionnels : les écuyers tranchants. Leur attirail comprend des couteaux à large lame pour présenter les morceaux de viande, un «parepain» pour égaliser les tranches et de petits «coustels» pour désosser et dénerver. 

Dès le XIVe siècle, les couteaux sont à manches d'ébène pour le Carême, d'ivoire pour Pâques, d'ivoire et d'ébène en damier pour la Pentecôte. Ils peuvent être émaillés, ornés des armes de leur possesseur ou d'enluminures, damasquinés, gainés de cuir gaufré. 

À la fin du XVe siècle apparaît le couteau pliant qu'on range dans sa poche. Appelé «Kenivet», il deviendra notre canif. 

Les premiers couteaux à huitres datent aussi du Moyen Âge. Leur lame se replie dans le manche en actionnant un petit ressort. Il va de soi que le petit peuple se contente de lames et de manches rudimentaires. À la renaissance, le couteau ressemble de moins en moins à une dague. Les lames peuvent être en or ou en argent. Les manches deviennent de vraies œuvres d'art en nacre, en bois incrusté de pierre précieuses, en ivoire sculpté de scènes mythologiques ou d'animaux extraordinaires. 

Le tranchage des viandes est un véritable spectacle. Chaque pays a ses règles. En Italie, l'officiant, quand il entre en scène, doit se tenir absolument droit, les pieds bien à plat et légèrement écartés, les bras vers le haut, la tête immobile, le regard grave. Il découpe à une vitesse hallucinante les tranches de viande qu'il fait voler jusqu'au centre du plat. Puis, avec la pointe du couteau, il lance avec une précision diabolique un pincée de sel qui retombe sur le rebord du plat. 

En cuisine, la batterie de couteaux se diversifie. Bartolomeo Scappi, célèbre maître queux du XVIe siècle, en décrit une vingtaine, chacun ayant un rôle distinct.

Depuis le Moyen Âge, les manuels de savoir-vivre répètent qu'il ne faut pas se curer les dents avec son couteau....Mais les habitudes sont tenaces. À tel point qu'on raconte que Richelieu fait promulguer un édit rendant obligatoire les pointes arrondies ! 

Au XVIIIe siècle, le couteau prend sa place, avec la fourchette, sur la table. La lame est en acier pour la viande et en or, argent, vermeil pour les fruits. Les manches sont en agate, en jaspe, en porcelaine. 

Il faut attendre le XIXe siècle pour qu'il rejoigne cuillères et fourchettes dans la «ménagère», en raison de l'adage disant qu'offrir un couteau rompt l'amitié.

LA CUILLÈRE 

Connue dès le néolithique, elle n'apparaît à la table qu'au XIVe siècle. Jusqu'alors, en bois ou en étain, elle demeurait à la cuisine. Elle devient ensuite un objet précieux, en argent ou en or. 

Cuilleron

Quoi de mieux qu'un coquillage ou une coque de fruit pour puiser dans un aliment liquide ? C'est ainsi que nait la cuillère aux temps les plus reculés de la préhistoire. Au néolithique, où la bouillie de céréales est une base de l'alimentation, apparait la cuillère en bois dont la forme n'évoluera guère au cours des millénaires suivants : un manche et un cuilleron. 

Les tailles et les usages, eux se diversifient. Trouvées à Pompéi, une cuillère dotée d'une petite pique atteste que les Romains mangent coquillages et crustacés à l'aide de cet instrument. C'est à cette époque que se fait la différenciation entre petite et grande cuillère. 

Au moyen Âge, on trouve de nombreuses cuillères en métal, mais si elles ont leur place en cuisine, inutile de les chercher sur la table. Les maîtres queux s'en servent pour remuer les sauces, les potages, les crèmes. Les convives doivent se contenter de porter l'écuelle à leur bouche. 

À partir du XIVe siècle, les cuillères font leur apparition sur les tables les plus riches. Il faut les partager avec ses voisins, tout comme l'écuelle. Le poète Eustache Deschamps, dans son "Miroir de mariage", conseille à une jeune mariée d'avoir «cuillers grandes et cuillers petites». Les cuillères ne sont pas fournies par le maître de maison. Il faut l'apporter avec soi tout comme le couteau. À la Renaissance, elle devient de plus en plus courante, mais sert toujours à plusieurs convives. On décore le manche de guirlandes de fleurs, d'animaux et, bien entendu, des armes de la famille. 

Ce n'est qu'au XVIIe siècle qu'elle devient individuelle. Comme le cuilleron doit être soudé au manche, la soudure est dissimulée par un ornement appelé «queue de rat». Pendant ce temps, les ménages modestes se contentent de cuillères de bois, de fer ou d'étain. 

Au XVIIIe siècle, avec la mode grandissante des boissons exotiques, thé, café, chocolat, apparaissent les modèles ad hoc, ainsi que les cuillères à entremets et à œufs à la coque.

Charles Christofle

Au XIXe siècle, l'industrialisation de la production permet une diffusion des couverts à travers toutes les couches de la population. La petite bourgeoisie peut enfin imiter les grandes familles grâce à l'invention du métal argenté. 

Charles Christofle l'introduit en 1844. C'est alors la grande mode des «ménagères» qu'on offre en cadeau de mariage et qui comportent des centaines de pièces. 

La cuillère à moka est plus petite que celle à café, la cuillère à glace est plate alors que la cuillère à sel est concave, la cuillère à sucre à des trous....S'y ajoutent les cuillères à liqueur, absinthe, légumes, pommes de terre, agrumes, pudding, olives, ragoût, caviar, zakouski, cocktail, melon ...

Si on a les moyens, on fait marquer de son chiffre tout cet attirail. 

Fausse ou vraie argenterie, les petites bonnes passent des heures à l'astiquer avec blanc d'Espagne et peau de chamois pour qu'elle fasse honneur à la maîtresse de maison.  

LA FOURCHETTE ...Elle fait peur ! 

À deux, trois ou quatre dents, elle a bien du mal à s'implanter. Elle apparaît à Venise au XIe siècle. C'est de là que le roi Henri III la rapporte en France, en 1574. 

Fourchettes sassanides plates et à deux dents. Elles datent des Ve-VIIe siècles. Les trois premières, provenant de Chiraz, sont conservées au Metropolitan Museum of Art, New York ; les deux dernières, provenant de Suse, sont conservées au Musée du Louvre. Photo Jean-Gilles Berizzi.

La fourchette ne sert à rien ! Tant qu'on a des doigts, un couteau et éventuellement une cuillère, on peut se nourrir sans difficulté. Que les antiques maîtres queux et écuyers tranchants s'en servent pour retourner ou saisir les viandes, rien du plus normal, mais à table, nul besoin ! La fourchette est une invention de snobs. Comme cette princesse byzantine, devenue au XIe siècle l'épouse d'un doge de Venise, apportant dans ses bagages une étrange petite fourche à deux dents. Instrument du diable, perdition de l'âme, mœurs dépravées ! s'exclame l'église. Dieu a donné des mains à l'homme, c'est bien pour s'en servir ! 

À la fin du XIVe siècle, Valentine Visconti, belle-sœur de Charles VI, n'en possède qu'une et s'en sert pour manger les fruits au vin. L'empereur Charles Quint, au XVIe siècle, en a une douzaine. À la même époque, à la cour de François 1er, la fourchette fait peur. Ne risque-t-on pas de se blesser en la portant à la bouche ? Le roi ignore les conseils de sa belle-fille, Catherine de Médicis, qui essaie, en vain, d'en imposer l'usage, alors très courant dans les riches familles italiennes. Dans le dernier tiers du XVIe siècle, Henri III, connu pour ses manières affectées, en observe le maniement lors d'un séjour à Venise en 1574 et l'adopte. On se moque de lui. Dans un premier temps, la fourchette ne sert qu'à piquer les morceaux de viande dans le plat. C'est la fraise, cette collerette tuyautée qu'on porte autour du cou, qui va véritablement la lancer. Au moins, n'a-t-on plus a rechercher les morceaux de viande égarés dans les plis et replis ! 

Malgré cet avantage la fourchette met un temps fou à s'imposer. Montaigne avoue l'utiliser avec parcimonie. Louis XIV n'en fait guère usage. Même Louis XVI manque d'habileté et préfère se servir de la pointe de son couteau. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour qu'elle se généralise et conquiert les maisons bourgeoises. 

La fourchette à deux dents quitte définitivement le terrain pour celle à quatre dents qui, dans les meilleurs maisons, doit être coordonnée avec la cuillère et le couteau. Sur les tables, elle est placée à droite, avec le couteau, du côté de la «bonne main». Elle passe à gauche au XIXe siècle quand son maniement ne pose plus de problème ! 

L'habitude française de disposer la fourchette les dents vers le bas vient de la présence des armoiries qui sont gravées sur l'extérieur du manche. En Grande-Bretagne, elles sont à l'intérieur : la fourchette doit donc être placée dents vers le haut. 

Au XIXe siècle, la diversification des formes atteint son apogée : fourchettes à huîtres, à escargots, mini-fourchette à bigorneaux, à poisson, à melon aux dents coupantes, à gâteaux à deux dents, à fruits à trois dents, à fromage....Sans oublier des modèles plus grands pour servir. Ainsi que les fourchettes spéciales pour le service des olives, du saucisson, des pickles, de la salade.....

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