30 Juin 2021
En 711, en une invasion éclair, l'Espagne chrétienne bascule dans le giron de l'Islam pour huit siècles jusqu'à la Reconquista. Ce fil rouge historique, dont mosquées, palais et jardins gardent la mémoire, guide nos pas dans la somptueuse Espagne califale devenue Andalousie.
Dans des ruelles colorées ou des jardins sublimes, je vous invite à suivre les traces encore vivantes d'une histoire mouvementée d'une richesse absolue.
Devant notre pare-chocs, une barrière s'abat en sonnaillant. C'est juste que la piste d'envol traverse la rue, et un avion va décoller. Nous sommes à Gibraltar, rock anglais et caillou dans l'espadrille de l'Espagne, falaise en tremplin braquée sur le détroit. Là-haut se pourchassent quelques 300 macaques venus du Maroc et les bourrasques du sirocco, poudrées de Sahara.
À mi-pente perce l'incisive d'un donjon maure : Gibraltar vient de Jibal Tariq, mont de Tariq, le chef qui, en 711, a donné le coup d'envoi de la conquête. L'Hispanie est alors aux mains de Wisigoths. Le chef de guerre Tariq Ibn Ziad débarque avec plus de 10.000 hommes, en majorité des Berbères. Il a face à lui, l'armée du roi wisigoth Rodrigue, forte de ses 100.000 soldats. Quatre ans seront nécessaires pour conquérir Al-Andalous, le nouveau nom que prend la péninsule ibérique. Le Rocher de Gibraltar tombe donc aux mains des Musulmans au début du VIIIe siècle. Mais le site, par son emplacement stratégique capital, est très disputé. Dans le contexte de la «Reconquista», Gibraltar est pris par le royaume de Castille en 1309. Par la suite, il repasse brièvement sous contrôle de ce qui reste d'al-Andalus, l'Espagne musulmane. A la chute de celui-ci, en 1492, Gibraltar est reconquis par les Chrétiens. Pendant deux siècles, Gibraltar reste sous la couronne espagnole avant que les convoitises qu'il suscite ne poussent les Anglais, aidés par les Hollandais, à s'en emparer en 1704.
Le Rocher est d'ailleurs officiellement cédé à la couronne d'Angleterre par le trait d'Utrecht. Le territoire ne sera plus jamais espagnol. Madrid essayera de le reprendre toutefois par la force dès la fin du XVIIIe siècle, au moment de la guerre d'indépendance américaine. L'Espagne est alors alliée de la France contre l'ennemi anglais commun. Malgré d'âpres efforts et un siège féroce, Gibraltar restera britannique. C'est un euphémisme que de dire que le Rocher empoisonne les relations Britanico-Espagnoles depuis maintenant plusieurs siècles. Depuis le Brexit, les autorités espagnoles n'entendent peut-être pas laisser passer cette nouvelle occasion. De là à retourner sous la couronne espagnole ? Elle restera certainement encore pour très longtemps, un terre de discorde entre tous ceux qui veulent la contrôler.
Laissant Gibraltar, nous longeons cet Atlantique qui mousse comme du champagne. Voici un castel arabe, ancré à son récif : Tarifa. Gibraltar a pris le nom de Tariq, Tarifa celui de Tarif, son adjoint qui débarqua ici même en éclaireur. Nous passons la porte de Xérès. Serti dans la maçonnerie, un de ces arcs en fer à cheval chers à l'art islamique bien qu'invention wisigothe. Une forêt de chênes lièges, et nous atteignons Médina Sidonia. Elle aussi porte haut sa porte maure, au podium d'un escalier.
Nous entrons : des sentes aux tons de chaux, des huis hachurés de fer d'où filtrent des parfums de safran et d'oranger. Nous pourrions être à Tanger ; sans surprise, Medina Sidonia vient d'al-madina, «La cité».
Sous Charles Quint, l'Église n'a de cesse de vouloir abattre son élégante forêt de colonnes rouges et sable sur deux niveaux.
On l'affuble d'un coeur gothique, avec ses saints un peu mièvres. L'empereur gémit : «Vous avez détruit ce que l'on ne voyait nulle part, pour y mettre ce que l'on voit partout». Le vandalisme cesse. L'édifice que l'on arpente a conservé jusqu'à la niche du mihrab qui orientait les prières, aussi rutilante qu'un livre d'heures. Ironie, le minaret baroquisé, sonne à présent les cloches que prohibait l'Islam. Cordoue était capitale d'Al-Andalous. Le Guadalquivir y coule sous un pont romain auquel la tour arabe de la Calahorra donne un air d'Avignon. On peut y admirer une immense noria, machine hydraulique qui irriguait les cultures. À l'est de la ville, les ruines somptueuses de Madinat-Al-Zahra.
Cette région n'a pas seulement une grande mosquée, elle a aussi un somptueux palais : L'Acazar
Cette forteresse se distingue par sa construction presque rectangulaire aux longs murs de pierres taillées. C'est l'un des plus beaux exemples de l'architecture mudéjar qui contient en son sein la majeure partie de l'évolution architecturale de la région. Les pièces et couloirs ont pour plafond des voutes gothiques en pierres. Impossible de ne pas être émerveillés par ses fontaines, ses jets d'eau et ses carreaux de céramique émaillée ! Un endroit idyllique pour se détendre en écoutant l'eau qui passe dans les canaux et les bassins.
Couronnée du titre d'une des plus belles places d'Espagne, la place de la Corredera est l'un des endroits les plus fréquentés de la ville.
Elle se situe au centre-ville où le marché hebdomadaire de Cordoue se tient. Ce lieu très festif rempli de bars et de night-club est idéal pour une sortie nocturne.
Saviez-vous que le Rodrigue du Cid s'était un temps battu du côté arabe ? Les choses ne sont pas simples et l'éclat de la cour omeyade de Cordoue ou des palais nasrides ne peut faire oublier les persécutions des Almovarides et Almohades fanatiques, ni les massacres perpétrés lors de la Reconquête.
L'alcazar est appelé Reales Alcarares , au pluriel parce qu'il comprend un ensemble de bâtiments, depuis le premier Alcazar Arabe jusqu'aux postérieures extensions par des patios et des palais réalisés par les monarques successifs. De l'Alcazar bâti par les almohades au XIIIe siècle, il ne subsiste qu'une partie des remparts, le Patio del Yeso dela Monteria. Sa structure actuelle répond en grande partie de la réforme de Pierre I le Cruel, qui, cependant, utilisa un grand nombre d'éléments des constructions d'origine.
On accède à cet ensemble par la Porte du Leon, percée des les murailles almohadesInscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO, l'Alcazar de Séville est un palais fortifié d'une beauté incroyable. Ce palais est considéré comme l'exemple le plus brillant de l'architecture mudéjar sur la péninsule ibérique. En plus de ses multiples salles richement ornées, l'Alcazar présente des jardins splendides disposés en terrasses agrémentées d'une végétation verdoyante, d'une multitude d'orangers et de palmier et d'innombrables fontaines et pavillons.
Le monument le plus emblématique de Séville est l'une des tours les plus admirées du monde, il s'agit de l'ancien minaret de la grande mosquée à l'emplacement de laquelle fut construite du XVe siècle la Cathédrale. Sa construction fut ordonnée en 1171 par le sultan almohade Aby Yacub Yusuf et fut terminée en 1198 par son fils, l'émir Abu Yusuf Yacub al-Mansur.
L'architecte qui la conçut fut Aben Baso, bien que les travaux furent supervisés par un poète, Abubequer Benzoar, ce qui expliquerait, dans une certaine mesure, l'existence de ce halo de fantaisie en filigrane qui émane de l'architecture originale et svelte de la Giralda. C'est depuis cette tour que le muezzin appelait les fidèles à la prière, mais elle fut certainement utilisée comme observatoire astrologique. Pour y monter, au lieu d'escalier, on réalisa 35 rampes en pente douce pour, semble-t-il, faciliter l'accès à cheval du premier muezzin du minaret.
Elle est l'église la plus grande d'Espagne et la troisième du monde chrétien en terme de taille, derrière la Basilique Saint-Pierre de Rome et la Cathédrale Saint-Paul de Londres.
La phrase des capitulaires, reflète parfaitement l'ambitieux enthousiasme de ceux qui projetèrent et décidèrent sa construction, à la fin du XVe siècle : «Nous ferons une église si grande que ceux qui la verront achevée nous prendront pour des fous». Le plan intérieur de l'église occupe un rectangle de 116 mètres de long sur 76 de large et le point le plus élevé du transept mesure 56 mètres de haut. Bien que l'oeuvre principale du bâtiment fut réalisée entre 1401 et 1506, quatre siècles furent nécessaires pour qu'elle acquière la silhouette qu'elle possède actuellement. L'intérieur est époustouflant !
Près de l'avenue de Isabel la Catolica, s'ouvre la grande Plaza de Espana, ensemble architectural des plus singuliers conçu par Anibal Gonzales.
Elle se compose d'un demi-cercle de 200 mètres de diamètre et de deux hautes tours stylisées à ses extrémités. Un canal artificiel ou l'on peut se promener en barque la traverse et fait office de séparation entre la grande esplanade centrale et la partie plus élevée. En bas des balustrades des arcades qui encerclent la place se trouvent des bancs décorés d'azulejos représentant, par ordre alphabétique, les 54 provinces espagnoles. Les arcades quant à elles sont décorées de médaillons d'illustres personnages espagnols, de Sénèque à Sorolla. Enfin, l'édifice central abrite un patio à portique à deux étages, et au milieu de la grande esplanade, une fontaine circulaire se pare à la nuit tombée de mille feux. Cette place est très certainement l'un des endroits les plus fantastiques de Séville, si ce n'est l'Andalousie en général. Une véritable galerie d'art à ciel ouvert.
Le bâtiment des Archives générales de Indes, de style Renaissance, et de forme carrée s'élève sur deux étages et possède un patio central entouré de galeries.
Il fut construit entre 1584 et 1598, selon les plans de Juan de Herrera, pour abriter la lonja de Marcaderes et pouvoir ainsi décongestionner l'intense activité marchande qui se développait dans la chambre de commerce voisine et sur les marches de la cathédrale après la découverte de l'Amérique. Ce bâtiment devint le siège des Archives des Indes en 1875 sur la demande de Charles III pour centraliser la vaste et précieuse documentation relative aux possessions espagnoles outre-mer, jusqu'alors répartie dans différents bâtiments. C'est aujourd'hui l'une des archives les plus importantes au monde. Parmi les oeuvres les plus précieuses, figurent le Mappemonde de Juan de la Cosa et le journal de Christophe Colomb. Y sont également conservées des lettres de Hernan Cortès, Cervantès, et même de George Washington, premier président des États-Unis.
Séville est une ville au passé grandiose : colonie romaine qui vit naître deux empereurs, capitale d'un royaume almohade qui s'étendait sur le Maghreb et la moitié de l'Espagne, unique port d'entrée de toutes les richesses d'Amérique.
Du califat ne subsiste plus qu'un émirat prospère, Grenade et ses champs d'amandiers venus de Syrie dont les senteurs flottent dans l'air...
A lui seul, l'Alhambra vaut que l'on découvre Grenade. Ses jardins, son architecture mauresque, ses fontaines et son gigantisme en font une ville dans la ville. Vassal de la Castille, il prospèrera près de 250 ans. Mais quand la reine Isabelle unifie l'Espagne en épousant Ferdinand d'Aragon, cette enclave musulmane n'est plus de saison. En 1492, le dernier émir, assiégé dans son palais de l'Alhambra capitule.
Nous arpentons l'ex-résidence du monarque déchu, toute en gerbes de colonnettes, bassins entourés de buis, stalactites de stuc, zelliges d'ocre et d'émeraude, marqueteries de cèdres et de sycomore. C'est à l'intérieur de ce palais que l'on retrouve la plus grand influence de l'esthétique arabe, notamment dans les salles du Mexuar, de la Chambre Dorée ou dans le Palais Royal et ses magnifiques cours.
Datant également de la période arable, le quartier résidentiel d'Albaicin a conservé son architecture mauresque quasi intacte, à laquelle s'est ajouté le style baroque, se structurant autour des petites ruelles où il fait bon flâner dans une ambiance hors du temps.
Des hauteurs presque alpines de la Sierra Nevada aux déserts du nord d'Almeria, en passant par la côte sablonneuse, on y tourna des dizaines de westerns spaghetti. L'Andalousie pourrait être un pays à elle seule.