23 Juin 2021
La fabrication du verre existe depuis 6.000 ans. Mais c'est l'invention de la technique de soufflage, au 1er siècle avant J.C., en Syrie, qui permet d'obtenir des récipients creux. Les Romains, gastronomes, découvrent que le vin dans des verres a meilleur goût, mais l'usage en est réservé aux plus riches. Les autres se contentent de gobelets en métal ou en terre cuite.
C'est à Murano que les verriers vénitiens inventent, au XVe siècle, le «cristallo», un verre transparent qu'on peut comparer au cristal de roche. Les formes s'affinent, les jambages sont de plus en plus travaillés, on y adjoint des ailerons, des décors aussi aériens que de la dentelle, on y incruste des pierres précieuses, des filigranes. Leur finesse et leur élégance sont incomparables.
Les ouvriers Italiens sont menacés de mort s'ils dévoilent les secrets de fabrication. On leur fait des ponts d'or et toute l'Europe se met à produire des verres à la mode de Venise.
Du moyen Âge à la moitié du XVIIIe siècle, les verres ne sont pas individuels et ne se dressent pas sur la table. C'est un valet qui les remplit à la demande. On boit et on lui redonne. Les verres et les bouteilles sont placés dans des rafraîchisseurs. Malheur à celui qui ne vient pas avec son propre serviteur ou qui se trouve en bout de table. Il risque de rester le gosier sec.
Un autre cristal, celui de Bohème, vient concurrencer la production du Murano dès la fin du XVIe siècle. Caspar Lehmann invente la gravure à la roue, et les verres s'ornent de scènes mythologiques, champêtres, grivoises, de fleurs et d'animaux...Ils innovent en travaillant le quartz issu des montagnes, semblable à la transparence du verre.
L'idée est ingénieuse. Afin de produire de la silice (sable), l'indispensable composant du verre, ils broient les quartzites. Il en résulte une silice bien plus pure que celle utilisée par les verriers vénitiens. Pour exploiter au mieux cette propriété, le verrier crée la taille profonde donnant naissance à une technique particulière et à un art nouveau. Parce qu'il satisfait mieux les goûts des peuples de Bohême, mais aussi de France et de Germanie, ce verre taillé devient rapidement à la mode. Le vrai buveur veut avoir son verre bien en main et, à la fragilité du cristallin de Venise, il préfère la robuste beauté, l'opulence massive du verre Bohémien. Les verriers de Bohême s'en donnent à coeur joie et inondent le marché !
Mais l'invention majeure voit le jour en Angleterre à la fin du XVIIe siècle. Les verriers ont interdiction d'utiliser du charbon de bois pour préserver les forêts destinées à la construction des navires de guerre. À Londres, en 1676, George Ravenscroft désireux de détrôner les Italiens de leur monopole en tant que fabricants de cristallo (verre prisé pour sa paraison limpide), il fait réaliser des contenants dont la brillance et la transparence sont alors novatrices. C'est par l'ajout d'oxyde de plomb dans la pâte de verre et l'incorporation d'une silice très pure que ces nouveaux verres possèdent une transparence lumineuse et un éclat comparable à celui du cristal de roche. C'est ainsi que naît le véritable cristal.
Pendant près d'un siècle, les Anglais gardent le monopole de la verrerie de luxe. L'importation de ces produits coûte terriblement cher à l'économie française.
En 1764, l'évêque de Metz obtient de Louis XV le droit de créer une verrerie à Baccarat. Trois ans plus tard sont fondées les Verreries royales de Saint-Louis. On débauche à grand prix des ouvriers anglais et, en 1785, le premier cristal français y voit le jour. La bourgeoisie européenne du XIXe siècle lui fait un triomphe. D'autant que verres, carafes, coupes, flûtes ont définitivement pris place sur les tables.
Chaque convive dispose de trois à six verres. Pour un souper d'apparat doivent figurer celui où l'on mélange eau et vin, un petit pour le vin de Madère, un spécial pour le Bourgogne, un autre pour le bordeaux, un cinquième pour le vin de dessert et, bien entendu, un coupe ou une flûte à champagne. Seule la flûte est admise par les véritables amateurs. Boire du champagne dans une coupe est une hérésie que seuls pratiquent les ignorants, les petits bourgeois et les grisettes.
Parallèlement, la Manufacture des cristaux de la Reine, actuel Château de la Verrerie, contribue elle aussi au développement du cristal. En 1796, la famille royale fait construire à Creusot la manufacture qui se situait jusqu'alors dans le parc de Saint-Cloud à Sèvres. Après la Révolution, l'activité progresse rapidement notamment grâce au talent de Benjamin Ladouèpe-Dufougerias, le «lustier» de l'Empereur, et devient la Manufacture impériale et royale. Elle est finalement mise en vente à plusieurs reprises jusqu'à son rachat en 1832 par les cristalleries de Baccarat et de Saint-Louis qui la ferment aussitôt. Malgré cette courte histoire, ce fut au Creusot que, pendant ces quatre décennies, se fit l'évolution du verre français.
Le cristal devint ainsi, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le symbole du savoir-faire et du savoir-vivre à la française.
Le savoir faire des Verriers de Saint-Louis est présenté dans un musée qui jouxte l'usine et qui surplombe un ancien four. La structure, crée en 2007, emprunte un chemin de ronde parallèle à une étagère continue de 953 mètres, sur laquelle reposent quelques 2.000 trésors de la manufacture. Cette présentation est agrémentée de 20 stations vidéo qui abordent les différents savoir-faire de l'entreprise. À voir à l'entrée, l'imposant lustre de deux mètres de haut constitué de quelques 1.780 pièces, mais aussi les fameux verres Tommy utilisés en 1938 pour le repas donné en l'honneur de la reine d'Angleterre au château de Versailles, ou encore les deux potiches gravées par Winkler présentées à l'Exposition Universelle de 1867. On y apprend aussi comment est fait le cristal, pourquoi il scintille plus que le verre et pourquoi sa sonorité est différente. |
Le cristal finira par attirer les grands noms de l'époque, comme Lalique en 1945 à la mort de son fondateur, René Lalique, ou encore à partir de 1968, la Compagnie Française du cristal Daum, fondée en 1878 à Nancy, en Lorraine, qui remet au goût du jour la pâte de verre et la pâte de cristal.
Il s'agit de la première cristallerie sur le sol Nancéien. C'est en effet comme verrerie d'art que Daum installe d'abord sa manufacture à Nancy en 1878. N'y intégrant le cristal dans ses fabrications qu'à partir de la commande se services de table pour le voyage inaugural du paquebot Normandie en 1935. (Je reviendrai sur Daum dans un autre billet)
Le cristal est toujours un matériau très couru, synonyme d'excellence, de luxe et d'art de vivre à la française. L'industrialisation permet au verre de devenir un objet d'usage courant. Dès lors, le verre apparaît dans les foyers pour les gobelets et carafes, mais aussi comme récipient pour conserver les aliments. Le verre n'est donc plus considéré comme un matériau de luxe et son usage devient commun. Le cristal s'adapte à toutes les situations. Il y en a pour tout le monde. Du produit ultra exclusif à celui que vous utilisez tous les jours.
Et si ce ne sont plus les fabricants de verre qui nomadisent, on voit les designers métisser, avec leurs voyages incessants, l'orient et l'occident, le Nord et le Sud, la Bohême et Venise, le cristal et le float..
La Maison Baccarat est installée - 11, place des États-Unis à Paris - depuis 2003. Elle abrite notamment une galerie où est exposée une collection de mille objets créés par les artisans de la célèbre manufacture de cristal Baccarat.
Symbole de l'art de vivre à la française tant vanté à travers le monde, La Maison Baccarat a reçu le label Entreprises du Patrimoine Vivant en 2007, elle représente l'excellence de la culture et de l'identité française. En tant que fleuron français des arts de la table, elle rend hommage à la gastronomie des français, inscrit par l'Unesco au patrimoine culturel immatériel de l'humanité.