4 Juillet 2022
J'adore les expressions, mais, comme tout ce qui est précieux, leur manipulation exige quelques précautions : changez-en un seul mot par un synonyme, et les voilà bancales. On dit «les yeux plus gros que le ventre», jamais «les yeux plus gros que l'estomac», «sauter du coq à l'âne» jamais «de la poule à l'âne», et ainsi de suite....
La difficulté, en ce qui concerne les expressions, c'est qu'elles nous viennent de temps immémoriaux. Ainsi, parfois, même si l'on connaît leur sens général, on ne sait plus très bien à quoi les mots qui les composent font référence....Ce qui engendre quelques difficultés avec les homophobes - les termes qui se prononcent de la même manière -
Des exemples ? ça tombe bien j'en ai.
Je suis tombée sur un texte qui mentionnait un chevalier «armé de pied en cape», cape est écrit comme une cape, avec un "e", sans doute parce que la cape est un vêtement ancien, qu'on imagine bien porté par un chevalier, pourquoi pas. Mais l'expression «de pied en cap» s'écrit cap, sans "e". Qu'est-ce donc que ce cap ? Il ne s'agit pas du cap géographique, ni celui de «cap' ou pas cap"», qui est une abréviation de capable, encore moins le CAP de coiffeur ou de plombier. C'est un cap qui nous vient du latin caput, «la tête», donc de «pied en cap», c'est «des pieds à la tête, de bas en haut».
Ah, tant qu'on y est, il y a une autre expression ancienne qui est souvent mal orthographiée à cause de l'homophonie entre deux mots : «à cor et à cri», que l'on trouve souvent sous la forme erronée «à corps et à cri». Quand on réclame quelque chose «à cor et à cri», on le réclame bruyamment. L'expression vient de la chasse à courre. «Chasser à cor et à cri» explique le Larousse, «c'est chasser à grand bruit, avec le son de la trompe, le cri des veneurs et des chiens». Il s'agit donc du cor de chasse, COR !
Bref, ça vous étonne, ça vous déconcerte, ça nous laisse coi ! et ça coupe quoi ? Le sifflet ? La parole ? La respiration ? Les jambes ? Non, ça nous coupe la chique, boulette de tabac que jadis l'on mâchait comme l'on mâche aujourd'hui du chewing-gum. La nouvelle est si inattendue que l'on arrête de mâcher et que l'on reste muet de stupéfaction. L'usage n'a heureusement pas coupé beaucoup d'autres expressions où l'on continue de couper allègrement : la poire en deux, les cheveux en quatre, les vivres, etc.
Dans son livre «100 expressions à sauver» Bernard Pivot écrit en introduction que les 100 expressions qu'il a retenues sont toujours en vie, et c'est parce qu'elles vivent encore qu'il faut les sauver du silence qui les écarte, de l'oubli qui les menace.
Il précise que toutes les citations sont originales, qu'on ne les trouvera pas sur Internet ou dans les dictionnaires. Il les a collectées, crayon en main, tout au long de ses lectures aussi diverses que nombreuses. Des écrivains comme Colette, Giono, Guérin, Nourissier, Sabatier, Pagnol, Aragon, Gracq, les ont employées. Mais sait-on encore ce qu'elles veulent dire ? Et d'où viennent-elles ?
Parmi les plus insolites :
Cette face-là présente un visage blême, froid, émacié, «comme s'il portait la marque des privations». Si l'on fait jeûne, abstinence et prière pendant les quarante jours de carême, la mine s'en ressent, fatalement. On maigrit, on a l'air austère, et même sinistre. Les personnes de sombre physionomie ne manquent pas, mais les faces de carême, les figures de carêmes, les têtes de carême se font rares dans la conversation parce que le carême n'est plus pratiqué que par une infime minorité de catholiques.
Expression devenue très rare. En voie de disparition totale. Elle trouve son origine dans une bagarre ayant opposé aux portes de Grenoble des compagnons d'obédiences rivales. Faire une conduite de Grenoble, c'est soi mettre brutalement une personne à la porte, soit la raccompagner en la molestant et en l'injuriant.
C'était l'un des aspects amusants, l'autre soir, de l'émission de Thierry Ardisson qui recevait l'un des conseillers du président Bush, un publiciste dont le journal s'était permis de faire un portrait caricatural des Français. Le public de Thierry Ardisson lui aurait volontiers fait une conduite de Grenoble.
Autrement dit, le public, qui a probablement hué l'Américain, l'aurait volontiers raccompagné sous les quolibets, avec des gestes violents.
Locution argotique, peau de balle ! signifie : rien ! La peau sans les balles, sans les balloches, sans les testicules, à quoi ça peut servir ? À rien ! Qu'est-ce que le balai de crin ajoute à la peau de balle ? Il ajoute rien à rien. La verve populiste, qui aime bien les assonances amusantes - genre "je veux, mon neveu", " à la tienne, Étienne" ou bien, dans la bouche des nouvelles générations, "cool, Raoul", " à l'aise, Blaise" - a fait rebondir la balle dans le balai. Absurde mais rigolo. Qu'en pense le dico des académiciens ? Peau de balle et balai de crin !
Devant le corps amoché de l'artiste, le narrateur se dit qu'il va avoir besoin d'argent :
Je fais un petit inventaire. Je n'ai pas pensé à réclamer ma dernière quinzaine à Mr Edmond et il a oublié de me la régler. J'ai dix-sept mille francs. J'ai eu beau fouiller l'artiste : peau de balle et balai de crin.
Est-ce parce que la soie, quoique toujours coûteuse, n'est plus une étoffe réservée aux très riches et qu'elle ne symbolise plus une vertu ou une ornementation inaccessibles ? Toujours est-il qu'aujourd'hui l'on dit rarement d'une personne qui, par le luxe de ses habits, son train de vie ostentatoire, s'attire des moqueries, qu'elle pète dans la soie. L'expression est une sorte d'oxymore puisqu'elle assemble deux mots contradictoires : la vulgarité du pet et le raffinement de la soie.
Ce n'est pas pour voir la vérité qu'on paie sa place au cinéma madame. La vérité, on en bouffe tous les jours au bureau et dans la petite famille. C'est pour voir des femmes qui fument et qui pètent dans la soie et pour être pendant une heure et demie le malabar qui se les envoie après avoir descendu tout le monde....
Hep !
En revanche, le pet est toujours très sonore dans les expressions péter le feu et péter plus haut que son cul. Il a même des intonations modernes avec pété de thunes, être très riche.
C'est une expression argotique d'une irrésistible drôlerie. Bravo à l'anonyme qui l'a inventée, démontrant ainsi que lui ne yoyotait pas de la touffe, c'est-à-dire ne débloquait pas, ne déraisonnait pas, ne disait pas n'importe quoi, n'était pas fou.
- Arrête, dit Olivier, parfois tu yoyotes de la touffe !
- L'argot revient. Tu es sauvé ...
Dans l'argot des prisons, yoyoter signifie, à la manière d'un yoyo, faire passer un objet d'une cellule à une autre par une ficelle qui monte et descend. Il y a quelque chose de répétitif, d'absurde, dans le jeu de yoyo, et c'est de ce passe-temps un peu bébête que yoyoter tire son deuxième sens : divaguer, déconner. Quant à la touffe, il s'agit de cette expression de la tête, alors que généralement, dans le langage argotique, la touffe est le nom de la toison pubienne (ras la touffe).
Les expressions les plus atypiques sont originaires de la région provençale ! Elles nous «espantent» (étonnent) ! Pas facile de déchiffrer certaines d'entre elles, telles que «on dirait un caramentran» pour décrire une personne qui à l'air déguisée, mal mise «T'as vu sa robe caramentran ? (ultra ringarde ?)» - quand on «emboucane» on paraît très suspect, on entourloupe «Dis donc, tu n'essayerais pas de m' emboucaner là ?» - «être empégué» ou «frit confit» signifie être ivre «Regardez-moi ce fada, il est frit confit» - avoir «des yeux de Gobi» c'est faire l'idiot, être étonné, attendre la bouche ouverte «Arrête un peu de faire le gobi et vient m'aider» - «s'éclater le teston» est synonyme d'éclater de rire. - «Stoquefiche» caractérise quelqu'un de tout maigre - Un(e) «quinque» est un petit surnom affectueux pour ses proches, une épouse par exemple peut s'entendre susurrer ... «Tu vas me manquer, ma quinque !» - «Esquichés» veut dire serrés comme des sardines : «Regarde-moi tous ces fadas esquichés dans le petit train des touristes» - «Avoir les yeux bordés d'anchois» C'est avoir les yeux cernés « Toi, on dirait bien que t'as fait la fiesta, t'as les yeux bordés d'anchois». - «Avoir des oursins dans la poche» signifie être avare «Alors Marius, t'as des oursins dans la poche ou quoi ? Offre-nous donc un petit pastaga ! (pastis) » - La liste d'exemples pourrait s'étendre sur de nombreuses pages, mais j'arrête ici, je suis canée (crevée).
Mises en valeur par les poètes provençaux du XIXe siècle, elles restent indémodables et infiniment drôles lorsqu'elles sont prononcées "avé l'accent" .
Ces expressions ne sont qu'un avant-goût, Il nous reste encore beaucoup de vocabulaire à découvrir puisque les français regorgent de particularités régionales.