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Cartouche, la fable du «Bandit social»

Cartouche est un film d'aventures franco-italien, réalisé par Philippe de Broca et sorti en 1962.

Cartouche est un film d'aventures franco-italien, réalisé par Philippe de Broca et sorti en 1962.

Présenté comme un voleur au grand cœur prenant aux riches pour donner aux pauvres, Louis Dominique Garthausen, dit «Cartouche», serait une sorte de Robin des Bois français de l'Ancien Régime, à l'aube du siècle des lumières, et un annonciateur d'une révolution à venir. Les chansons, poèmes, pièces de théâtres et films l'ont représenté comme un redresseur de torts indigné par les injustices sociales, redistribuant généreusement son butin aux petites gens qui l'acclamaient en héros....Tout ceci n'est qu'une fable : Cartouche était un criminel préoccupé avant tout par son enrichissement personnel et la vie facile. 

Louis Dominique Garthausen, dit «Cartouche» par francisation de son patronyme d'origine allemande, est né à Paris en 1693. Il est le fils d'un ancien mercenaire originaire de Hambourg devenu tonnelier. Son père est un artisan honnête et travailleur, et la famille Garthausen est sans histoire. 

Louis Dominique Cartouche d'après une gravure de Dupray de La Maherie, 1863 PHOTO : corbis via getty images / Stefano Bianchetti

Graine de voyou 

Ses parents tentent de lui inculper une bonne éducation, mais le jeune garçon commet très tôt une multitude de petits larcins dans le collège où il étudiait. Alors qu'il a 11 ou 12 ans, un jour où il avait dépassé les bornes et redoutait la sanction paternelle, il décide de fuguer. Il est recueilli par une bande de gitans qui lui enseignent le B-A BA du parfait petit criminel en herbe : faire les poches des gens lors de rassemblements publics, tricher aux cartes, savoir se battre à l'arme blanche, etc. Il erre ainsi quelques années avec cette bande et se retrouve à Rouen, où il est retrouvé par hasard par un de ses oncles qui le ramène au domicile familial, dans l'espoir de le ramener aussi dans le droit chemin. Mais le jeune garçon, qui a goûté à la vie trépidante des voyous et à l'argent facile, n'est guère motivé par la tonnellerie. Il reprend très vite ses petites habitudes, ne serait-ce que pour avoir les moyens d'épater quelques jolies filles qu'il veut séduire. De plus, il supporte de moins en moins l'autorité de son père. Celui-ci s'inquiétait d'ailleurs de voir son fils mener un train de vie qui ne correspondait pas à sa condition sociale. Soupçonnant ses activités et craignant qu'il ne tourne mal, il se rend auprès du commissaire de police de son quartier afin qu'il obtienne une lettre de cachet pour le faire interner dans une maison de redressement. Informé de ce qui se tramait contre lui, Cartouche s'enfuit avant l'arrivée des agents venus l'arrêter, non sans avoir dérobé toutes les économies de ses parents ! 

Intermède militaire 

Cartouche se réfugie alors dans le quartier de Saint-Germain, où se trouvaient de nombreuses échoppes et salle de jeu. Il écume différents tripots du quartier, triche au jeu, mène grand train de vie et se fait remarquer par quelques autres vauriens de son espèce avec lesquels il se lie. Il se met ensuite au service d'un sergent recruteur. En cette époque de fin de règne de Louis XIV, les guerres incessantes réclament des nouvelles recrues en permanence. Mais Cartouche se fait avoir par son associé et un soir où celui-ci l'avait fait trop boire, ils se retrouve lui-même enrôlé dans l'armée ! En 1714, quand il revient de la guerre, il ramène avec lui toute une bande d'anciens soldats désœuvrés qui vont former le noyau de sa nouvelle bande à Paris, à laquelle il va donner une organisation efficace inspirée de l'armée, avec une hiérarchie et une discipline stricte. Il n'a que vingt ans, mais c'est à ce moment qu'il devient le véritable Cartouche, qui n'a rien à voir avec le voleur au grand cœur de la légende

Le maître de Paris 

Cartouche met tout son talent dans l'organisation d'une gigantesque bande de malfaiteurs, dont il est le maître absolu, dans le seul but de s'attribuer un maximum de richesses. L'homme est intelligent et en dépit de son jeune âge, il a un tempérament de leader, avec de l'autorité et du charisme. Il a un culot monstre, un certain sens de l'humour et de la provocation et c'est aussi un homme à femmes. Il sait soigner son image par des actes de galanterie ou des générosité bien calculées et il impose des règles strictes à sa bande : pas de violence inutile, ne s'en prendre qu'aux nantis, ne pas voler deux fois la même personne, etc. On pourrait presque le trouver sympathique, mais c'est perdre de vue la réalité, qui est avant tout celle d'un chef d'une vaste organisation criminelle. Et avec une troupe à ses ordres qui aurait compté jusqu'à 2.000 membres, Cartouche a mis pendant plusieurs années Paris, qui comptait alors 500.000 habitants, littéralement en coupe réglée. Les activités de la bande étaient multiples : chantages, rackets, vols à la tire, pillages de bijouteries, rien ne les arrêtait. Les cartouchiens, comme on les appelait, opéraient essentiellement de façon discrète pendant la nuit, entrant par effraction dans les appartements et dérobant en un temps record tout ce qui avait de la valeur. Cartouche avait des complices, receleurs, ou informateurs, partout et dans tous les corps de métier : orfèvres, bijoutiers, armuriers, etc. Il y avait aussi beaucoup de jolies femmes, dont le rôle était d'attirer des hommes par leurs charmes, pendant que leurs complices masculins s'occupaient de les dépouiller. Ses exploits l'avaient rendu célèbre et attiraient à lui de nombreux individus désireux de participer au festin, pendant que le petit peuple s'amusait de sa façon insolente de défier les autorités. Pas un crime entre 1719 et 1721 que l'on impute à Cartouche et à sa bande de malfaiteurs. Évidemment Cartouche était recherché par toutes les polices de la capitale, mais on ne savait pas à quoi il ressemblait et il demeurait insaisissable. De plus, la police de cette époque, dont les fonctions étaient multiples et assez différentes de celles de la police moderne, n'était pas structurée pour faire face à une bande aussi puissante et aussi bien organisée.

Trahi par les siens 

Louis Dominique Cartouche en prison - BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE / ANONYME

Agacé, le régent décide d'en finir avec Cartouche, qui au fil du temps, s'est rendu coupable de plusieurs meurtres, dont ceux de deux policiers. On promet la clémence à ses complices qui le dénonceront, mais une sévérité extrême à ceux qui l'aideront. Trahi par l'un des siens, Cartouche est arrêté dans un cabaret le 14 octobre 1721. Le Tout Paris défile dans sa cellule pour voir celui qui avait tant défrayé la chronique. Malgré les dénonciations de complices et les témoignages de victimes, Cartouche nie tout en bloc, même sous la torture, et il est convaincu que sa bande viendra le libérer au moment où on le conduira à l'échafaud. Le jour venu, comprenant que personne ne viendra à son secours, il se ravise et il décide de dénoncer ses complices, espérant ainsi sauver sa tête. Il est finalement conduit au supplice le surlendemain, le 28 novembre 1721. 

Cartouche a livré les noms de 90 de ses complices qui ont été immédiatement arrêtés, mais les procès des cartouchiens dureront plusieurs années. La légende allait alors s'emparer de celui qui n'avait rien d'un héros de légende et qui n'était qu'un mauvais garçon plus doué dans sa profession que la plupart des voyous. De son vivant, on avait même joué la pièce Cartouche ou les voleurs à la Comédie Française ! L'affaire Cartouche fit grand bruit et un an après sa mort, Daniel Defoe, l'auteur de Robinson Crusoé, traduisit l'aventure de sa vie et son procès. Dès lors, la postérité constitua le plus gros butin ravi par ce truand et fit de lui un héros populaire qui traversa les siècles. 

Cartouche était un criminel professionnel qui n'a jamais été indigné par la misère du peuple, n'a jamais été adulé par celui-ci, n'a jamais eu de préoccupation sociale, politique ou révolutionnaire, n'a jamais rien redistribué à quiconque en dehors des membres de sa bande et il a seulement été attiré par la richesse, l'opulence, les jolies femmes et la vie facile. Il n'avait rien d'un bandit de grand chemin romantique galopant cheveux au vent dans les campagnes et il n'opérait qu'à Paris et dans l'ombre. Cette légende de héros populaire et généreux ennemi de la noblesse est un pur fantasme qui résulte d'un travestissement grossier de la vérité historique et de l'instrumentalisation de l'histoire pour caricaturer au passage, et une fois de plus, la société d'Ancien Régime qui n'a pas besoin de ça. Si Cartouche s'est parfois montré généreux, il s'agissait surtout d'opérations de communication destinées à soigner son image. Mais plus fantaisiste encore est la thèse qui veut faire de lui un révolté annonciateur de la grande révolution qui allait éclater à la fin du siècle. S'il était déjà entré dans la légende de son vivant, ce sont les révolutionnaires de 1789 qui peaufineront celle-ci et qui construiront le mythe tel qu'on le perpétue encore de nos jours.   

 

 

Bibliographie : Gilles Henry, Cartouche, roi du pavé de Paris, Éditions du Rocher, 2015. 

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