30 Octobre 2021
De l'Egypte à la Chine, de Sumer à l'Empire Maya, elle a émergé à des époques différentes sur tous les continents. Utile au commerce, mais aussi au pouvoir et à la religion, cette mise en symbole du monde a peu à peu permis l'expression d'idées complexes.
Aujourd'hui encore, Egypte et Mésopotamie se disputent l'invention de l'écriture, qui marque la sortie de l'homme de la préhistoire. Elle serait selon les chercheurs, apparue vers 3250 avant notre ère sur les bords du Nil, ou entre 3350 et 3150 ans non loin du Tigre et de l'Euphrate. En réalité, peu importe. Car ces deux systèmes d'écriture ne découlent pas l'un de l'autre, et il est probable que chacun d'entre eux a été inventé de façon indépendante. Il existe d'ailleurs plusieurs foyers d'émergence distincts : outre l'Egypte et la Mésopotamie, on peut évoquer la Chine et le Yucatan.
Trois grands systèmes sont apparus dès l'Antiquité : le système idéographique, dans lequel chaque signe représente un objet (pictogramme) ou une idée (idéogramme) ; le système syllabique, où chaque signe représente un son ; et le système alphabétique : chaque signe représente un son décomposé, plusieurs signes étant regroupés pour former d'autres sons.
Selon Anne-Marie Christin, directrice du Centre d'études de l'écriture et de l'image à l'université Paris-Diderot, l'écriture unit «deux modes de communication hétérogènes et complémentaires qui la précédaient depuis longtemps : l'image et la langue». Les hommes utilisant des systèmes d'enregistrement graphiques pour transporter la parole, elle signe aussi la rencontre d'un système gestuel.
Mais à partir de quand peut-on vraiment parler d'écriture ? Des signes gravés sur des pierres suffisent-ils ? un exemple montre bien à quel point il est difficile de donner une définition. En 1999, une mission archéologique française dirigée par Danielle Stordeur (CNRS) a découvert à Jerf et Ahmar, sur l'Euphrate syrien, quatre petites pierres portant des motifs gravés 9.100 ans avant notre ère : un oiseau aux ailes déployées, des serpents, des lignes obliques, un cercle partiellement barré, une pointe en flèche.
Ces signes dont certains sont abstraits, ont été réalisés 5000 ans avant que n'apparaissent les premiers pictogrammes assyriens ! Les chercheurs ne parlent pas ici d'ancêtre de l'écriture, mais plutôt d'une volonté de passer à l'abstraction. La répétition des mêmes images sur différentes pierres, la façon de traiter les motifs évoquent le besoin de conserver la trace matérielle d'évènements importants, un témoignage.
Est-ce ce besoin qui a poussé les hommes à écrire ? En Mésopotamie, où la prospérité est assurée par le commerce, on associe l'apparition de l'écriture au développement de l'administration dans un contexte déjà urbain : il faut faire des inventaires, enregistrer des transactions. De fait, les premières inscriptions sont associées à des calculi, des jetons qui matérialisent les échanges. Mais cette explication un peu rapide, ne permet pas à elle seule de comprendre la naissance de l'écriture.
Certes, «les premiers systèmes n'ont pas été inventés pour faire de la poésie, souligne Louis-Jean Calvet, linguiste, Cependant, en plus des comptes, des nécessités de l'administration, des inventaires retrouvés en Mésopotamie, c'était également une mémoire du pouvoir et de la religion. Chez les Mayas, l'écriture servait aux inscriptions commémoratives et aux calendriers religieux. Chez les Chinois, les premiers exemples sont le fait de devins qui notaient leurs oracles sur des os».
Avec la graphie des noms propres vers 3000 avant notre ère, c'est la place de l'individu dans notre société qui s'affirme. Née d'un besoin de consigner faits et pensées de façon durable, l'écriture va ainsi, très rapidement, garantir le pouvoir de quelques-uns, fonder un ordre social et politique.
Si les écritures sont apparues sous des formes, en des lieux et à des époques divers, en revanche, l'alphabet a une origine unique. C'est une invention sémitique née au IIe millénaire avant notre ère, au Proche-Orient. La configuration des langues sémitiques a favorisé l'évolution du système cunéiforme vers l'alphabet : chacun des mots y est formé d'une racine de trois consonnes qui portent le sens. Ainsi KTB signifie écrire. L'ajout de voyelles ou de consonnes modifie le sens. Aujourd'hui encore, en arabe, mektoub signifie «c'est écrit», Kitab, «le livre», Kateb, «l'écrivain». La notation des voyelles n'est pas indispensable - elle a été introduite plus tard, par les Grecs.
Le premier alphabet dont nous ayons la trace est celui d'Ougari, qui date de quatorze siècles avant notre ère. Des tablettes écrites en cunéiforme ont été découvertes en 1930 dans cette cité antique de la côte syrienne.
Certaines d'entre elles recourent à une forme d'écriture qui ne nécessite que trente signes. Il s'agit toujours de cunéiformes mais, pour la première fois, les signes représentent des sons décomposés, et seules les consonnes sont écrites.
Cet alphabet a permis d'écrire plusieurs langues : l'ougaritique, l'akkadien, et le hourrite.
La disparition de la ville d'Ougarit au XIIe siècle avant notre ère entraîne celle de son alphabet. Mais dès l'an 1000 avant J-C. , les Phéniciens s'en inspirent et créent un système simple, composé de 22 consonnes. Il est basé sur le principe de l'acrophonie : on utilise, pour noter un son, la représentation simplifiée d'un objet dont le nom commence par ce son. ▼
Ainsi, pour la lettre b, on utilise le signe symbolisant la maison, qui se dit beit ; il est décidé que chaque fois que l'on rencontre ce signe, il ne désignera plus la maison, mais le son b.
Démocratique car facile à apprendre, cet alphabet se répand en Palestine, en Syrie et en Anatolie, puis dans toute la méditerranée. Il est devenu l'ancêtre de presque tous les systèmes alphabétiques du monde.