23 Février 2021
«Prenez-moi ce mouchoir....Couvrez ce sein que je ne saurais voir» intime Tartuffe à la sémillante Dorine qui ne s'en laisse point conter. Le trait est connu. Les décolletés vertigineux - qui, précisément, excellaient à promouvoir ce qu'ils feignaient de cacher - étaient-ils ainsi voués à «blesser les âmes» ? Un simple soutien-gorge aurait-il changé la donne ? Les femmes ont toujours estimé que leur poitrine avait besoin de... soutien ! Et les exigences qu'elles se sont assignées pour l'obtenir ont toujours relayé les canons esthétiques du moment.
Dans la Grèce antique, les hommes confessaient un penchant pour les beautés androgynes. Qu'à cela ne tienne : pour étouffer le développement de leurs jeunes seins, les jeunes filles ceignent des pièces d'étoffe, bandes ou bandages comprimant la poitrine, aux noms barbares : le mastodeton, sous leur traditionnel chilton (tunique de lin), le contraignant apodesme.
Les Romaines partagent également ce souci. Tandis que les brunettes aplatissent leurs seins au moyen d'un taenia, leurs aînées vont même jusqu'à sangler leurs contrariants avantages sous un mamillare de cuir ! Par fortune elles ont plus généralement recours à un équivalent du bandage grec, le simple strophium, dont la représentation la plus fameuse est celle de l'almée de la romaine du Casale de Piazza Armerina, en Sicile. ▼
Cette parure, du reste, préfigure étrangement les sous-vêtements féminins actuels.
Entre-temps, la Renaissance impose le corset, qui rehausse la poitrine et creuse la taille. Il sera porté par les femmes pendant plus de 400 ans !
Le corset est un sous-vêtement féminin rigide. A l'origine, il est destiné à affiner la taille et soutenir la poitrine. Au XVIe siècle, les hanches représentent un atout sexuel plus important que les seins. Mais très serré, ce dessous provoque des douleurs et demeure un fardeau pour les femmes.
A la fin du XVIIIe siècle, le corset disparaît pour être remis au goût du jour en 1830. A l'origine, cette pièce se porte dans les milieux nobles pour se distinguer des autres classes, puis se répand chez les Bourgeois. Le corset est signe de «droiture», et de valeurs respectables.
Les femmes du peuple se mettent également à le porter. Elles sont au départ raillées par les caricaturistes et finissent par imposer leur choix. Au final, c'est toute la société féminine qui porte le corset. La compression du corps atrophie les muscles et peut faire perdre jusqu'à 25 cm de tout de taille. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que les médecins crient au scandale et dénoncent le risque sanitaire de ce sous-vêtement. Peu à peu, les exigences émancipatrices du beau sexe et la fièvre hygiéniste d'un XXe siècle balbutiant ont peu à peu voué le corset rigide aux oubliettes. Il subsiste sous des formes plus souples mais est progressivement abandonné au profit des gaines et du nouveau soutien-gorge, qui remplit à merveille l'une des fonctions premières du corset, avant la réduction de la taille : Maintenir la poitrine.
Initialement appelé «maintien-gorge» ou «gorgerette», le terme ne s'offre qu'une entrée tardive dans le Larousse de 1904. C'est pourtant à une féministe française, Hermine Cadolle, que revient le mérite d'avoir coupé le corset en deux....Vingt-cinq ans plus tôt !
Par trop soucieuse du confort et de l'aisance des dames, Mme Cadolle a conçu un «corcelet-gorge» dont elle présentera un modèle amélioré - le «Bien-Être» - Lors de l'exposition Universelle de 1900.
La réussite commerciale ne sera cependant pas à la hauteur de son ingéniosité.
En 1893, une Américaine cette fois, Marie Tucek, dépose le brevet d'un nouveau dispositif, le Breast Supporter. Sans plus de succès. Sa compatriote Mary Phelps Jacob (1892-1970) qui, en 1913, invente le soutien-gorge moderne à bonnets séparés, sera plus avisée.
En butte elle aussi à des problèmes de commercialisation, celle que l'on n'appelle plus que Caresse Crosby, cède son brevet à la Corset Company que les frères Warner ont implantée dans le Connecticut. Du coup, cette société achève d'émanciper la silhouette féminine : elle conçoit les bonnets à profondeur variable, inaugure les bretelles élastiques et met au point un tissu extensible. Les femmes ont besoin de plus de liberté de mouvement et découvrent que ce sous-vêtement d'un nouveau type leur permet d'être actrice de leur vie et leur évite les nombreux désagrément du corset.
Dans les années 50, c'est l'épique des soutien-gorge pigeonnant qui font des seins pointus, élément clé des pin-up des fifties !
Cette période est celle d'une féminité assumée. Les prémices sont visibles dès 1946, à la sortie du western américain The Outlaw. Pour ce film le producteur Howard Hugues érotise la silhouette de l'actrice Jane Russel, à travers un soutien-gorge pigeonnant et pointu. Ce dernier s'imposera comme un objet de fantasme soulignant les poitrines pin-up de Marilyn Monroe et Bettie Page, mais aussi celles des stars hollywoodiennes de l'époque, comme Elizabeth Taylor et Sophia Loren.
Les années 60 vont changer la donne. Et cela, grâce aux nouvelles icônes, Audrey Hepburn et Twiggy, dont les silhouettes brindille suscitent l'engouement.
La mode est aux petits bonnets sages, dissimulés sous les pièces phare de l'époque : le petit haut vichy et la chemise en coton. C'est aussi à ce moment-là, que l'élasthanne voit le jour et que le premier soutien-gorge sans armatures est crée.
Dans les années 70, en pleine révolution sexuelle, les femmes se débarrassent de leur soutien-gorge. Plusieurs les jettent, préférant ne rien porter sous leurs vêtements. Les féministes y voient un symbole des carcans sociaux que subissent les femmes. Il ne disparaît pas pour autant, mais est de plus en plus controversé, et par la suite les témoignages des adeptes du no-bra se multiplient !
La décennie 80 marque un nouveau tournant. Boudé auparavant, le soutien-gorge regagne le coeur des femmes. Plus sensuel, il est conçu dans la soie et la dentelle, et prend pour la première fois la forme de push-up. D'ailleurs, ce dessous est enfin pensé pour toutes les tailles et les morphologies.
Au fil des décennies, il est réinterprété et devient un véritable objet de mode : cônes chez Jean-Paul Gaultier, balconnet chez Chantal Thomas...▼
Aujourd'hui, le choix des soutien-gorge est immense ! On recherche à la fois le confort dans un look ultra féminin et la féminité dans un modèle plus sportif. On en trouve de toutes les couleurs, tous les styles et tous les besoins.
En parallèle, l'offre s'élargit quant à la lingerie, révélant des dessous évocateurs, comme la guêpière et le porte-jarretelles.
Les femmes obligées de porter des corsets ont fait en leur temps la triste expérience du corps emprisonné ! et bien que cette pièce de lingerie s'associe difficilement à une utilisation quotidienne, les corsets, guêpières, soutien-gorge bustier et serre tailles sont aujourd'hui plébiscités pour leur atout séduction et font leur grand retour parmi la lingerie sexy.
Ils peuvent même agrémenter des tenues de jour et de soirée, à l'instar de nombreuses célébrités. Oui, porter un corset c'est la nouvelle lubie des stars. Comme nous positionnons souvent les stars en modèle, quand elles arguent qu'une chose marche, nous suivons. Si autrefois, le corset était considéré comme un instrument de torture, les stars ont changé cette perception....
Autre possibilité : la lingerie gainante est également un descendant historique des dessous imaginés pour façonner le corps de la femme. Ayant mauvaise presse il y a encore quelques années, elle a su évoluer avec son temps et des modèles toujours plus adaptés à la vie mouvementée des femmes d'aujourd'hui, amatrices de mode mais aussi de confort. Malgré tout, il ne s'agit pas de sous-vêtements anodins. Une mise en garde récente des professionnels de la santé ont en effet rappelé que ces gaines bloquent l'afflux sanguin et compriment les organes - l'estomac, l'intestin et le colon - et qu'il faut éviter d'en porter tous les jours.
Une fois de plus les dessous féminins font débat, preuve que loin de ne concerner que l'intime, ils constituent un réel enjeu de société.