30 Décembre 2020
Ô temps suspends ton vol !
Autrefois, c'était les cloches qui rythmaient la vie quotidienne. Les horloges n'apparaissent dans les villes qu'à la Renaissance.
Dès la préhistoire, l'homme a cherché à mesurer le temps pour régler ses activités. Pendant des millénaires, il s'est contenté d'observer la course du soleil. À l'antiquité, il conçoit des systèmes simples, tels que le gnomon ou le cadran solaire utilisant l'ombre portée du soleil et la division, établie par les Égyptiens, du jour et de la nuit en vingt-quatre heures.
Du savoir au pouvoir, le pas est franchi très tôt par les villes médiévales qui affirment, au beffroi et au fronton de leur hôtel de ville ou au clocher de leur cathédrale, leur mainmise sur les horaires diurnes et nocturnes de leurs habitants.
Un contrôle qui se veut aussi enseignement des beautés et mystères de la religion, grâce aux extraordinaires mécanismes d'horlogerie réglant des ballets d'automates, comme à la cathédrale de Strasbourg en 1354, à celles de Lyon et de Bourges ou encore de Besançon et de Beauvais, créées au XIX siècle.
Pendant des siècles, seules les institutions civiles et religieuses peuvent se doter de ces merveilles et la vie des campagnes s'écoule au rythme des cloches paroissiales.
Au XVIIe siècle, les inventions géniales de Galilée - pendule oscillant - concrétisées par Huygens et Coster, sont à l'origine des pendules à balancier, plus précises et plus faciles à régler que les précédentes.
Les premières grandes horloges de parquet, ciselées par Boulle et d'autres ébénistes de renom, font leur apparition dans les palais et autres demeures aristocratiques.
( André-Charles Boulle, né le 10/11/1642, mort le 19/02/1732 dans la même ville est un ébéniste, fondeur, ciseleur, doreur, et dessinateur français des XVIIe et XVIIIe siècles. Ébéniste du roi, il fut le premier de son temps à appliquer du bronze doré à l'ébénisterie.)
En 1675, Huygens invente le ressort à spirale qui supprime le balancier. Une véritable révolution qui permet de fabriquer des pendules plus petites et modifie les usages.
Louis XVI, passionné d'horlogerie, possède des centaines de pendules dans ses appartements et acquiert, en 1789, une monumentale horloge astronomique de plus de deux mètres de hauteur, encore plus perfectionnée que la célèbre pendule dite de la «Création du monde» réalisée par Louis XV.
Au moment de sa réalisation, la pendule de La Création du Monde ne pouvait être comparée qu'avec la pendule astronomique que le roi avait placée en 1753 dans ses appartements intérieurs à Versailles, où elle est toujours conservée. Ces deux pendules d'exception, presque contemporaines, ont été conçues par le même artisan de génie : Claude-Siméon Passemant, ingénieur-mécanicien du Roi.
La caisse de la pendule, en bronze patine, argenté et doré, symbolise à travers l'évocation des quatre éléments primordiaux ( la terre, l'eau, l'air et le feu) les premiers moments de la Genèse qui font suite à l'irruption de la lumière. Ses mécanismes permettent de rendre compte, dans sa partie inférieure, du mouvement de la terre, de sa rotation en fonction des heures et du pivotement de son axe en fonction des saisons, des phases de la lune et des mouvements des planètes. La cadran supérieur indique l'heure, le jour et le mois. Le globe terrestre est une véritable mappemonde gravée sur laiton argenté. Le rayon inférieur de la gloire qui ceint le cadran des heures indique l'endroit exact où chaque moment le soleil se trouve à son zénith.
La pendule fut présentée à Louis XV à Versailles au mois de février 1754. Elle avait été commandée par Joseph-François Dupleix, gouverneur général des comptoirs de l'Inde, dans l'intention d'en faire présent à un prince indien, Salabetzinque, nabab de Golconde. La disgrâce de Dupleix la même année empêcha ce projet d'aboutir et la pendule entra dans les collections nationales pendant la Révolution.
Au XVIIIe siècle, les pendules de cheminée ou murales s'imposent dans les maisons bourgeoises, mais les campagnes restent fidèles aux horloges de parquet, dont la fameuse comtoise est l'archétype. → → → →
Leur haute silhouette droite ou galbée, leur coffre souvent peint de motifs rustiques, leur cadran en cuivre et leur balancier visible derrière une vitre, en font les sentinelles d'un temps qui semble qui semble s'écouler moins vite qu'au cadran des cartels de la ville et de la cour.
Charles Beaudelaire, dans son recueil les fleurs du mal, donne la parole au temps, et le montre comme un être puissant, destructeur, imbattable.
L'HORLOGE DE BEAUDELAIRE :
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »
Beaudelaire, personnifie l'horloge et la diabolise de «Dieu Sinistre». Le terme "dieu" montre la supériorité de l'horloge sur les hommes, elle impose sa loi aux hommes, mais ce n'est pas une loi plaisante comme le montre l'adjectif "sinistre".
L'industrialisation de l'horlogerie au XIX siècle et la nécessité croissante de contrôler le temps, à une époque où le progrès s'accélère et où l'on invente la productivité du travail, les trains, les avions et les programmes de télévision...accroissent l'exigence de précision et de miniaturisation.
Le montre-bracelet a mis tout le monde à l'heure après 1950, le quartz et l'atome ont rendu caduques les horloges mécaniques dont on s'émerveillait encore il y a seulement un siècle. Accélération du temps et relativité des choses sont à l'ordre du jour. Pas de quoi en faire une pendule !
Néanmoins, au nouvel an, la pendule a toujours son heure de gloire.
Sur le coup de minuit, elle sait être l'objet de tous les coups d'oeil. Alors, d'un coup, elle assène ses coups. À la douzième reprise, la pendule frappe un grand coup. C'est le mauvais coup du temps qui passe. C'est aussi le coup d'envoi de l'an nouveau. À minuit pile, on change de face. Ces douze coups nous poussent inexorablement à ne plus être dans le coup. Mais, avec toi pendule, nous aimerions tant, de réveillon en réveillon, faire encore au moins les 400 coups.
Bonne Année 2021