15 Novembre 2020
Nous autres, petits français, sommes nourris dès notre tendre jeunesse au pur jus de LA FONTAINE. On pourrait se demander quelle étrange aberration a conduit des générations successives de pédagogues à décider que LA FONTAINE est un auteur pour enfants sous prétexte qu'il met en scène dans ses fables des animaux doués de la parole.
Rien n'est plus cruel, en réalité, que ce théâtre animal où les agneaux innocents sont dévorés, où les ânes sans défense sont livrés au bourreau pour trois brins d'herbe qu'ils ont mangés et où des grenouilles vachement gonflées éclatent de vanité. Mais jamais ce fabuliste misanthrope et souriant n'a caché que ses animaux n'étaient que des hommes mal déguisés qui se mettent un loup sur le visage pour commettre leurs forfaits. Il serait regrettable que la réputation d'auteur scolaire faite - bien à tort - à La Fontaine, détournât plus tard l'adolescent ou l'homme de la lecture de ses Fables.
Comment un lecteur ne suivrait-il pas pas les préceptes d'une morale si simplement, si joliment exprimée que les mots en restent à jamais gravés dans sa mémoire?
La France, pays de LA FONTAINE, devrait être sage entre toutes les nations puisque la morale quotidienne s'y trouve mise en vers légers et souriants. Ah ! si nous avions eu un juriste, poète comme lui, pour mettre le Code Civil en vers inoubliables, nul ne serait plus censé ignorer la loi!
Dans le langage quotidien, nous utilisons sans nous en rendre compte - et sans lui verser ce droit d'auteur moral qui se nomme la reconnaissance - les images et les expressions ou les vers de notre ami le fabuliste.
Une comédie animale et humaine :
C'est ainsi que LA FONTAINE définit son recueil. «Ce n'est pas aux hérons que je parle ; écoutez, humains». Quelque 180 animaux peuplent ses fables. Parmi eux, il y a les puissants et les faibles.
«Les forts» sont souvent des carnivores [le lion, le loup, le renard, le chat....], des rapaces [le vautour, l'aigle...] Les victimes, ou «faibles», sont généralement symbolisées par l'agneau, l'âne ou la souris. Mais tous les personnages n'entrent pas forcément dans l'une de ces catégories. Les animaux utilisant la ruse peuvent parvenir à changer de classe : C'est le cas du renard ou du singe.
Les messages du 1er recueil présentent une morale traditionnelle. La Fontaine signale au lecteur les dangers qui le menacent. Il lui propose de se contenter d'un bonheur simple. Il lui conseille de se méfier des autres, d'utiliser la ruse plutôt que la force brutale et, enfin, de ne compter que sur lui-même.
Dans le 2ème recueil, il insiste souvent sur l'idée que l'homme est sot, avide et superficiel. Il l'accuse d'ingratitude, de cruauté et de manque de piété. Selon lui, il faut accepter la mort, savoir profiter de l'amitié, chercher la retraite dans la nature et respecter les autres peuples. La fabuliste affirme aussi ses idées politiques. Il défend la monarchie contre la démocratie, à condition que le peuple soit solidaire de son roi. Par ailleurs, La Fontaine est un catholique convaincu. Selon lui, seul Dieu peut guider les hommes. La sagesse passe par un équilibre entre l'âme et le corps. L'homme doit s'accepter tel qu'il est, supprimer ses désirs et ses passions. La Fontaine lui conseille de rester chez lui, de ne pas voyager ni de s'intéresser à la science. La sagesse passe par l'épicurisme : L'homme doit profiter de la vie, de façon modeste, en jouissant des biens que lui offre la nature.
La Fontaine n'est pas un donneur de leçons. D'ailleurs, il sait ridiculiser les beaux discours, à l'image de celui du Pédant faisant la morale à l'Enfant qui se noie. Pour ne pas ennuyer le lecteur, il a recours au comique. La confusion qui règne entre les mondes animal, humain, minéral, végétal et mythologique complique les récits. Mais elle permet surtout de jouer sur les mots et les situations. La Fontaine, utilise la moquerie et la satire pour attaquer les vices. Le comique de la description passe par la caricature. Celle du Renard «serrant la queue, et portant bas l'oreille» ou encore celle du Héron « au long bec emmanché d'un long cou». Les exemples de comique de geste sont également nombreux - L’âne «se vautrant, grattant, et frottant». Enfin, l'auteur utilise aussi le comique de caractère pour grossir le défaut d'un personnage : la légèreté de la Cigale et l'avarice de la fourmi, l'hypocrisie du Renard et la vanité du Corbeau.
Son mot d'ordre : plaire. «On ne considère en France que ce qui plaît ; c'est la grande règle et pour ainsi dire la seule», écrit-il dans sa préface.
C'est la manière de dire les choses qui les rend légères ou sérieuses. La Fontaine joue sur le décalage. La fable est traditionnellement un genre qui s'adresse aux enfants. Or, il est évident que La Fontaine a écrit pour les adultes. Cela provoque un comique de décalage. La Fontaine joue sans cesse sur les registres : il passe du registre inférieur au registre supérieur. Cette alternance crée une surprise et un plaisir à la lecture. Et de ce fait, une connivence et un jeu unissent l'auteur et le lecteur.
En étudiant les fables d'Ésope, on constate qu'il n'y a pas de dialogue. Au contraire, La Fontaine fait appel au style direct. Par exemple, «Le renard s'en saisit et dit : Mon bon Monsieur...» La Fontaine reprend le ton des comtes, qui souvent s'adressent directement au public. Un réseau de langage au style direct se mêle à la narration, qui, elle, est plus objective. De ce fait, l'écriture est très dynamique. Le langage de chaque personnage nous donne des indications sur son physique, sur son niveau social, mais surtout sur sa psychologie.
Les Fables de LA FONTAINE sont des textes d'une richesse inépuisable. Mais elles sont également des textes difficiles, pour les enfants comme pour les adultes. Le langage de La Fontaine est en voie d'archaïsme. Il fait des allusions au langage savant. Son style est très allusif car La Fontaine a souvent recours à l'ellipse. Tout cela fait que ses fables ne sont pas compréhensibles facilement.
Un loup affamé et affaibli rencontre un chien gras, beau et puissant. Le loup fait des compliments au chien qu'il admire, et celui-ci lui dit que si il veut être aussi bien soigné que lui, il n'a qu'à le suivre, et obéir à son Maître. Mais la contrepartie de ces soins est que le chien est attaché et qu'il est au service de son Maître justement. Le loup lui répond qu'il préfère être affamé mais libre, que bien nourri et asservi.
«Qu'est-ce là ? Lui dit-il. Rien. - Quoi ? Rien ? - Peu de chose - Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché de ce que vous voyez est peut-être la cause - Attaché ? dit le loup : vous ne courrez dont pas ou vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ? - Il importe si bien, que de tous vos repas je ne veux en aucune sorte, et ne voudrais pas même ce prix à un trésor - Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor».
La morale de cette histoire est que la liberté n'a pas de prix. Il vaut mieux être libre mais affamé, que bien nourri mais attaché.
Sa vie : 1621-1695
Jean de la Fontaine naît à Château-Thierry [Aisne] le 8 juillet 1621. Son père était maître des Eaux et Forets et capitaine des chasses.
Une jeunesse sans soucis : Après le collège, il entre en 1641 à l'Oratoire, où il mène une vie monacale qui ne l'intéresse pas plus que le travail scolaire. Il quitte l'établissement 18 mois plus tard. En 1649, il décroche un diplôme d'avocat. En 1647, son père le marie à une jeune fille de 14 ans, Marie Héricart. En 1652, il retourne à Château-Thierry et hérite de la charge paternelle de maître des Eaux et Forêts. Ne parvenant pas à exercer cette lourde tâche, il revend la charge.
Préciosité et libertinage : Quand il se rend à Paris, il fréquente les société précieuses et libertines. Sa vocation poétique s'éveille de plus en plus. Il passe de longues heures à lire, traduit l'Eunuque de Térence, compose un poème, Adonis, qu'il offre à Nicolas Fouquet. Au moment de la chute de Fouquet, La Fontaine reste son plus fidèle défenseur. Cette fidélité lui vaut la haine de Colbert, puis celle de Louis XIV lui-même.
Ses protecteur : Après Fouquet, il devient le protégé de la duchesse d'Orléans. En 1673, Mme de La Sablière le recueille et, après la mort de celle-ci en 1693, Mme d'Hervart. En 1684, il est élu a l'Académie française. Il y retrouve ses amis Boileau, Perrault et Furetière. Malade, il meurt chez ses derniers protecteurs, le couple d'Hervart.
Après lui, la fable devient une mode et influence des auteurs comme Perrault, Mme de Villedieu, ou encore Furetière.
Intemporelle grandeur de La Fontaine : Les changements considérables connus par l'humanité depuis La Fontaine n'ont altéré en rien la pertinence de ses analyses de l'âme humaine - L'homme sur le fond n'a pas beaucoup évolué.