18 Novembre 2020
Au XVIe siècle, finis les culottes et les bas, vive les hauts-de-chausses ! En 1789, le vêtement des sans-culottes est porté comme un étendard politique, et au XXe siècle, l'indispensable vêtement des femmes. Un tabou est tombé.
De cérémonie, de ville ou de sport, chic ou décontracté, de casimir, de toile ou de velours, droit ou à revers, fuselé, «pattes d'eph» ou «baggy», il y a longtemps que le pantalon en sait long sur la matière. Qu'on le nomme ici ou là, dhoti, hakama ou saroual, qu'on ait pu l'appeler chez nous, braies, culotte, chausses ou, plus encore, froc, fendard ou valseur, il a enjambé règnes et civilisations. L'histoire de ce vêtement, qui couvre séparément les deux jambes sur une longueur variable, se confond, en fait, avec celle des Scythes iraniens, des Achéménides et autres peuples cavaliers qui ne toléraient aucune entrave à leurs incursions.
Introduit en Occident par les Hongrois et les Turcs ottomans, le XVIe siècle en vulgarise la mode sous la forme hardie du haut-de-chausses. Décemment le pantalon - qui doit son nom à Pantalone, la bourgeois vénitien de la Commedia dell'arte vêtu d'une longue culotte rouge - ne pouvait en rester là.
La révolution s'empressa même de lui assigner un caractère politique....Les travailleurs qui, avec lui, choisissent d'arborer rayures bleues et blanches, entendent se différencier en out point de l'aristocrate cousu dans sa culotte et ses bas de privilégié.
Porteurs d'un esprit réformateur, ceux que l'on n'appelle plus que les sans-culottes clament ainsi leur volonté de voir émerger une société nouvelle, dans un habit de protestation qui sert leur idéal égalitaire.
Tout ce que la France compte de patriotes les rejoindra dans cette mode du pantalon long qui, au-delà du seul vêtement, affecte les sphères artistiques, linguistiques et idéologique où triomphe bientôt une esthétique héritée de la morale révolutionnaire.
Ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle que, corseté dans une incorruptible exigence esthétique, BEAU BRUMMEL, (1778-1840), «Petit Prince du Beau» et pionnier du dandysme, lance, outre-manche, la convention du costume sombre à la ligne épurée.
Le fameux «tuyau de poêle» marque l'avènement du pantalon moderne qui, à part quelques variantes, n'a guère évolué depuis. En 1909, prenant une revanche politique évidente sur la période trouble qui l'avait démocratisé, Édouard VII lui impose, bien sûr, un élitiste revers. Comme cela, sans avoir l'ait d'y toucher....Façon symbolique de signifier que, contre vents et marées, les têtes couronnées finissent toujours par être du côté du manche ! Mais au fond, cela importe peu, eu égard au cataclysme qui se profile encore.
Au XXe siècle, les femmes ne se mettent-elles point à braver tabou et légalité pour s'introduire dans....le vestiaire des hommes ! Le pantalon, que seules, parmi leurs aînées, les amazones, les filles de Sapho et les excentriques osaient enfiler, devient leur seconde peau.
En 1930, trois actrices, Marlène Dietrich, Greta Garbo et Katharine Hepburn choquent le tout Hollywood en portant régulièrement des pantalons et même le smoking, démarrant ainsi la démocratisation du pantalon chez les femmes.
Le Blue-Jeans né dans l'ouest américain en 1853, gagne la France dans les années 1950 avec les blousons noirs et finit pas s'imposer de 7 à 77 ans.
Du déshérité au souverain, du laïc au religieux, du jeune premier au patriarche, à l'évidence personne ne peut l'ignorer. Plus qu'un vêtement, un état d'esprit, une façon d'être plus ou moins décontracté. Les uns par tradition, le choisissent "brut", d'autres le portent plus volontiers "stone-washed", d'aucuns encore le préfèrent "surteint". Pantalon à légendes ...ou légende de pantalons.....
Au commencement étaient Levi Strauss et Jacob Davis.
Le 1er, juif bavarois, établit négoce sur la côte ouest des États-Unis au moment de la ruée vers l'or. En 1853, il dirige l'enseigne Levi Strauss & Co. Le second découpe ses pantalons dans le denim - évolution possible du "sergé de Nîmes" produit dans cette ville depuis le XVIIe siècle -, que ce négociant avisé lui fournit. Pour honorer les exigences de solidité de l'une de ses clients, le tailleur a l'ingéniosité de riveter de cuivre les poches du pantalon de son bûcheron d'époux. Le Jeans vient de voir le jour : teinte bleue indigo, coupe large, double surpiqûre orange, demi-ceinture à l'arrière pour resserrer la taille, poche unique au dos, poche à outils latérale, boutons pour les bretelles, braguette à boutons timbrés, il conserve toutes les caractéristiques du vêtement de travail. ▼
Initialement appelé waist-overalls ( par opposition aux bib-overalls, qui désignent des salopettes), ce vêtement finit par s'imposer sous l'appellation de blue-jeans, altération phonétique locale du "blu di Genova" eu égard à sa ressemblance avec la couleur de la toile de Gênes, dite la superbe, qui servait pour la fabrication des bâches, des voiles et des pantalons de marins.
L'engouement local dépassant toute espérance, Davis décide, pour palier de fâcheuses contrefaçons, de faire breveter son modèle. La réussite sera au rendez-vous des deux hommes qui, en 1873, choisissent d'associer leur nom pour offrir à cette toile de coton à armature de serge - que produit essentiellement la fameuse Amoskeag Manufacturing Company, dans le New Hampshire - ses lettres de rugueuse noblesse.
Après les années de monopole que l'obtention du brevet leur a procurées, la Levi Strauss & Co devra faire face à la concurrence que lui opposent de nouvelles firmes : la Lee (1889) et la Blue Bell, qui sera rebaptisée Wrangler (1904), notamment.
Le Jean's, en un demi-siècle, devient emblématique d'une Amérique libre, aventureuse et contestataire, celle de l'Americain way of life et de la fureur de vivre. Celle d'Andy Warhol, de Marilyn Monroe et de James Dean. (entre autres) - Les hommes et les femmes du monde entier ont voulu imiter James ou Marilyn, pas simplement pour leur ressembler mais aussi pour s'approprier leur liberté.
Symbole d'une contre-culture qui pourfend l'ordre bourgeois, les institutions commencent naturellement par bannir le Jean's. C'est là sans compter avec l'opiniâtreté d'un vêtement qui prendra de vitesse toutes les modes pour en sortir rajeuni, et mieux leur survivre encore et encore !