24 Avril 2021
Comment choisiriez-vous de savourer l'épigramme ? Le préféreriez-vous grillé à point ou bien l'aimeriez-vous mieux relevée et piquante à souhait ?
De genre masculin, l'épigramme préparé par le boucher est un haut de côtelette d'agneau destiné à être grillé.
Au féminin, l'épigramme est une affaire de poète satirique : c'est une courte pièce de vers qui se termine par un trait piquant.
📌L'âge d'or de l'épigramme se situe aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Dans les salons littéraires, les rivalités entre auteurs s'exprimaient sous forme de poèmes de quatre vers généralement, dont le dernier - appelé la pointe - était destiné à égratigner l'adversaire ou même à le blesser dans son amour propre. Il arrivait parfois que l'un des deux adversaires succombât à l'attaque, tué par le ridicule.
Il suffit de se rappeler le nom de Fréron, ce critique littéraire qui avait eu la malencontreuse idée de s'attaquer à Voltaire et qui fut exécuté en quatre verts dont on se souvient encore..
L'autre jour au fond d'un vallon
Un serpent piqua Jean Fréron
Que pensez-vous qu'il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva.
Un éditeur, nommé Legeay, ayant illustré la couverture d'un des ouvrages, qu'il publiait avec le portrait de Voltaire encadré par celui de deux de ses ennemis - dont, une fois de plus, le fameux Fréron - s'attira cette épigramme :
Legeay vient de mettre Voltaire
Entre la Baumelle et Fréron,
Ce serait vraiment un calvaire
S'il y avait un bon larron !
Boileau ne fut pas tendre avec le vieux Corneille dont les deux dernières tragédies avaient été des échecs :
J'ai vu l'«Agésilas»
Hélas !
Mais, après l'«Attila»
Holà !
Le poète Lebrun, surnommé Lebrun-Pindare (1729 - 1807), composa de très méchantes épigrammes dont celle-ci dédiée « à Chloris, dont l'haleine était fâcheuse ».
Oui, vous avez, Chloris, les traits de Vénus même ;
Oui, de vos yeux, le charme est triomphant ;
Vos yeux ordonnent qu'on vous aime,
Mais votre bouche le défend !
Souvent de jeunes et belles personnes étaient la cible d'épigrammes perfides qui s'en prenaient à leur absence de grâce, leur manque d'esprit, ou bien encore à la légèreté de leur conduite. Les mauvaises langues ne manquent pas de prétendre que ces vers satiriques étaient l'oeuvre de soupirants éconduits :
Quand elle danse avec le pas lourd des chameaux,
On pense que parler ferait mieux son affaire,
Hélas ! A peine a-t-elle dit trois mots,
C'est la danseuses qu'on préfère !
Ou encore :
Nature, en formant votre corps,
Lui donna tant d'avantages,
Que celui qui forma l'esprit,
En fut jaloux et, de dépit,
Refusa d'achever l'ouvrage.
La Comtesse de Genlis (1746 - 1830 ), après avoir été dame d'honneur de la duchesse de Chartres, se vit confier l'éducation des enfants de la famille d'Orléans, dont le futur roi Louis-Philippe. Amie des philosophes, elle mena une existence assez libre. Sur le tard, elle publia ses «Mémoires» Ce qui lui valut cette méchante épigramme :
Genlis à six francs le volume !
Disait un jour un amateur,
Dans le temps que son poil valait mieux que sa plume,
Pour un écu, j'avais l'auteur !
Revenons à Boileau, un spécialiste de la satire, dont je citerai ces vers vengeurs qu'il composa «pour mettre au bas d'une méchante gravure qu'on avait fait de lui» :
Du célèbre Boileau tu vois ici l'image
Quoi ? C'est là, diras-tu, ce critique achevé ?
D'où vient le noir chagrin qu'on lit sur son visage ?
C'est de se voir si mal gravé !
C'est à un poète anonyme qu'on doit le distique suivant inspiré par George Sand qui avait épousé en 1822 le baron Dudevant dont elle eut deux enfants :
Elle est Dudevant, par-devant
Et George Sand, par derrière.
En un sens, le satiriste de 1830 arbore pour partie l'éthos de l'honnête homme, de ce modèle de civilité que reste alors l'«homme de monde». Il partage avec lui deux caractéristiques essentielles. D'une part, une maîtrise et un usage immodéré du mot d'esprit et du persiflage, d'autre part, l'épigramme provoque «un effet de connivence» à double détente : il relève, dans les salons mondains comme dans la petite presse, d'une création collective, renvoyant une image flatteuse du groupe ou de l'auteur lui-même ; et cet énoncé ironique associe, voire soude, le lecteur au crédo défendu.
📌Sous le Second Empire ▼
l'opposition républicaine déchaînait ses traits. Voici ce qu'écrivait un certain Edmond Héraud pour fustiger les inconditionnels de Napoléon III :
Si l'Empereur faisait un pet,
Geoffroi dirait qu'il sent la rose
Et le Sénat aspirerait ....
A l'honneur de prouver la chose.
Le jour du mariage de Napoléon III avec Eugénie de Montijo (1853), cette épigramme anonyme courut Paris :
Montijo, plus belle que sage,
De l'Empereur comble les voeux.
Ce soir s'il trouve un pucelage,
C'est que la belle en avait deux !
Victor Hugo, lui, s'était écrié : L'aigle épouse une cocotte, ce qui était moins drôle.
Quelle place du XIXe siècle accorda-t-il, à l'esprit indissociablement ludique et critique qui habite ces coups de lancettes - et qui définit, selon les frères Goncourt, la blague moderne ! Une place, sans doute, intermédiaire. Antoine de Baecque a pu distinguer, dans Les éclats du rire, deux formes historiquement prises par l'«esprit» français : «Le mode caricatural est essentiel au jeu politique et à l'habitus de la démocratie républicaine française, autant que le bel esprit satirique se trouvait incarner l'être et le paraître monarchiques sous l'Ancien Régime.
En définitive, l'épigramme de 1830, est quelque part entre ces deux politiques du sourire - ou plutôt elle permet de penser, entre elles, une relation de continuité plutôt que d'opposition.
La moquerie, la perfidie, a continué à avoir des porte-paroles très doués :
📌 Les acteurs, on le sait, n'aiment guère les critiques. Voici comment le comédien Sylvain (1851 -1930 ) se vengea d'un critique qui l'avait malmené :
Ce Monsieur qui toujours bougonne
Mériterait des coups de pied
Dans un endroit de sa personne
Qui le représente en entier.
Après avoir obtenu de fantastiques triomphes avec Cyrano de Bergerac et l'Aiglon, Edmond Rostand fit attendre longtemps son chantecler. Ce fut hélas ! un échec éclatant :
Nous sommes fort admirateurs,
Chanteclerc, de ta voix sonore :
Elle fait s'éveiller l'aurore
Et s'endormir les spectateurs.
📌Sous l'occupation, dans la presse clandestine, la satire retrouva tout son mordant. Voici les vers que Jean Paulhan écrivit sur Abel Bonnard et Abel Hermant, deux auteurs qui avaient choisi la collaboration avec les Allemands :
Tandis qu'Abel Bonnard lèche notre vainqueur,
Abel Hermant l'évente et pose quelques fleurs
Sur son ventre ou ses pieds. On se demande enfin,
Voyant de tels Abels, ce que font les Caïns.
L'épigramme est un peu oubliée en France, pour ne pas dire sous-estimée. Avec la chanson, elle semble être la seule forme poétique rythmée, versifiée et vivante où la langue dans la forme possède une réelle audience.
📌 Georges Brassens :
Que jamais l’art abstrait, qui sévit maintenant,
N’enlève à vos attraits ce volume étonnant,
Au temps où les faux culs sont la majorité
Gloire à celui qui dit toute la vérité.
Serge Gainsbourg - les mots inutiles :
Les mots sont usés jusqu’à la corde
On voit le jour au travers
Et l’ombre des années mortes
Hante le vocabulaire.
Plus près de nous : SCRED CONNEXION, Ni vu ni connu, « Bonhomme », 2009.
Bonhomme, c'est dans la tête, pas dans les bras.
Tout comme les valeurs d'la femme
sont dans l'coeur pas dans les draps.
Mon épigramme :
Quand Didier Raoult
se targuait de pouvoir soigner des familles entières
ce n'était point pour en sauver moult
mais pour faire agrandir les cimetières !
Si vous aussi, vous aimez l'humour satirique ou moqueur, amusez-vous !